Au festival du premier roman de Chambéry
J’ai reçu un mail, hier, vers 23h. J’étais encore au boulot. Je le lis sur mon smartphone (tiens, je t’avais dit que j’avais succombé à la tentation du smartphone ?), un message court et simple « Tu es sélectionné parmi les finalistes du festival du premier roman de Chambéry avec 24 écrivains (à partir de quand puis-je me sentir à l’aise avec l’acception écrivain ? Après un relatif succès ? Après un certain nombre de ventes (10325 ex. achetés) ? Après un certain nombre de romans publiés ? Quand on se sent prétentieux assez pour l’assumer publiquement ?) européens et francophones, du 26 au 29 mai 2016. Peux-tu déjà réserver les dates ? A bientôt. » Pour bien comprendre l’enjeu, il faut savoir que ce sont des lecteurs, solitaires ou réunis en groupes, qui lisent un ou plusieurs romans sélectionnés, 70 au départ et remettent des cotes après chaque lecture. On parle d’un réseau de plus de 3200 lecteurs. Et les romans les mieux notés sont conviés à un grande fête où tu bouffes, tu bois et tu discutes. Tu discutes beaucoup, pour compenser le temps que t’as passé à ne pas parler, seul, devant ton ordinateur, seul, avec tes personnages, seul, avec ton scénario. Et le dimanche soir, le 29 mai, le roman le plus plébiscité reçoit le prix du premier roman de Chambéry.
Je dois t’avouer, cher mon lecteur, que cette nouvelle me fait vivre des sentiments contrastés. Je ne peux pas parler de joie. La joie, c’est une récompense immédiate après un effort, c’est marquer un but, c’est terminer le travail de sape à la fin du troisième set, c’est finaliser un dossier après 3 jours de souffrance et de labeur. Ici, ce que je ressens, c’est plus une immense satisfaction qui s’insinue lentement en moi, plus je lis ces quelques mots reçus hier et plus je sens une vague tiède et agréable me traverser le corps. C’est la frustration des choix compliqués par rapport à l’écriture, avec laquelle je ne me sentais peut-être pas moi-même toujours à l’aise, mais que je ressentais comme un devoir, qui s’envole. C’est l’assurance que le choix ont sans doute été les bons, difficiles, sacrificateurs, mais bons, si on ne parle que de littérature. Tout ça n’aura pas été vain, peut-être, finalement.
Et maintenant, comment on gagne ?
J’ai toujours eu un féroce esprit de compétition. Mais en littérature, c’est différent. Il n’y a pas de gagnant, pas de perdant, il y a des livres qu’on aime et d’autres qu’on aime moins. Tu le sens mon esprit de belge consensuel là ? Mais voilà, il y a des prix et ces prix font vendre les romans.
Alors est-ce que je serais prêt à dormir dans un cheval mort, à manger des poissons vivants ou à nager dans des eaux à 3° pour remporter l’osca… euh le prix du premier roman ? Seulement si ça m’apporte prospérité. La gloire je la laisse à Leonardo. La vérité c’est que si ça peut éventuellement m’apporter quelque chose, c’est davantage sur un deuxième voire troisième roman. Et je travaille dessus, allongé dans l’herbe, sous le soleil d’hiver lisboète, mais il a du mal à sortir. Je le rêve ample, ambitieux, grandiloquent et humble. C’est le problème, rêver ses romans, on est forcément déçu quand ils prennent vie, après.
C’est étrange. Je serai sans doute le plus mal à l’aise du monde si c’est mon nom qu’on cite dimanche, à Chambéry, sur le coup de 14h12. Et je serai vaguement furieux si on ne le cite pas. Ainsi soit-il. Ainsi sommes-nous. Ainsi sois-je.
Paradoxal.
Et content.