Chronique d’un été (part 1)
En janvier dernier je recevais un courrier de Fadila Laanan. Si t’es pas Belge francophone, tu peux pas savoir que notre ministre socialiste de la culture, c’est à la fois notre mécène et notre fossoyeur. On aimerait bien se passer d’elle et de son cabinet mais c’est pas possible, surtout parce que c’est elle qui délie les cordons de la bourse, toutes ces bourses qui nous permettent de survivre un mois de plus. (Et un mois de plus, c’est un mois de gagné). Bref, je reçois un courrier de Fadila (on est à tu et à toi avec notre ministre branchée) : elle m’octroie une bourse d’un mois pour partir en résidence d’auteur. A Rome. C’est la première fois que je serai rémunéré, par ma ministre chérie qui plus est, pour écrire. Je suis à la fois excitation, excitation et excitation. En réalité, il fallait proposer les premières pages d’un projet de manuscrit pour que la bourse soit accordée. Moi, j’ai envoyé les premières pages de « L’adieu à la patrie » qui est mon quatrième manuscrit, que j’avais en réalité terminé depuis bien longtemps. Là-bas, je vais donc commencer un nouveau roman. Sans pression, parce que je serai le seul à savoir que je l’écrirai. A la fin du mois de juin, quand Fadila me demandera des comptes, je lui enverrai simplement le manuscrit entier de « L’adieu à la patrie. » Ensuite les mois passent et les nombreux assistants de Fadila nous écrivent des courriers collectifs, à nous tous, les auteurs boursiers – nous sommes six – pour nous expliquer les démarches à suivre. Parmi mes collègues, pas vraiment des perdreaux de l’année. En réalité je n’en rencontrerai qu’un seul, Luc Templier. Tous les autres ayant choisi d’écrire dans la fournaise de juillet. En réalité peu importe : je pars à Rome. Un mois. Avec Fadila sur le porte-bagages, ou à peu près.
Le 31 mai 2013 aux alentours de 13h51 j’arrive en sueurs sur le grand parking de l’Academia Belgica, une grande batisse des années trente, coincée entre l’accademia Romania, l’Egitto, Neerlandicum et le parc de la Villa Borghese. A l’intérieur, une large cuisine, une bibliothèque, une quinzaine de chambres. Et une dizaine de jeunes doctorants pleins d’énergie aux armoires pleines de Chianti, d’huile d’olive, d’Amarro et de bucatini. Tu crois que je peux rêver mieux cher mon lecteur ? Le soir, ils m’emmènent gouter des bucatini cacio e peppe, dans l’arrière boutique d’une vieille Egyptienne. Cacio e peppe ? Une sauce au poivre et au fromage. Sur des pates épaisses. Bon Dieu ça n’a l’air de rien. Bon Dieu, ce soir-là, j’ai rencontré Rome. Et son vin du Lazio. Depuis cet instant-là, je n’ai fait que m’enivrer davantage. De bouffe. De vin. De repas sur la table épaisse de la cuisine ou sur la table étroite de la terrasse, sous les pins. De Rome. Et d’écriture. Parce que plus j’avais l’esprit habité par des discussions insensées, par des bucatini, par le nom d’un bar que j’avais croisé, par les prières dévotes des frères et des soeurs cachés dans les églises, plus mon esprit était concentré quand je me rasseyais pour écrire sous le ventilateur. J’avais préparé la structure du récit avant de partir. Là-bas, je voulais être libre, je ne voulais que produire. Un mois entier à écrire sans arrêt, sans trou blanc, sans trou noir, après des nuits à se déguiser en Rabelais, après des soirées planqué dans les jardins de l’académie autrichienne, une production insensée, sortie de nulle part, qui ne s’essouflait jamais, je partais me réfugier de l’autre côté du parc, dans les rues de Rome ou dans des gargotes ouvertes trop tard sur des places jaune, avant de perdre le fil, et trois jours avant de partir le roman était terminé. 135 pages. « Quand les ânes de la colline sont devenus barbus » est mon 5ème manuscrit, né à Rome. Notamment grâce à François, Luc, Mathieu, Mara, Emma, Barbara, Marc, Dimitri, Delphine, Julien, Iris, Alix, François-Dominique qui sont restés 5 minutes sur un banc avec moi ou 1 mois dans les jardins de Rome.
Et le 28 juin, j’étais à l’aéroport, je prononçais mes derniers mots d’italien au comptoir Ryanair et l’été allait encore être long.