Comment écrire un mauvais roman

Enfin, quand je dis mauvais, c’est une question de perception. Un roman, c’est pas bon ou mauvais, disons plutôt que c’est apprécié ou pas. C’est vrai, c’est comme un film, un tableau ou une pépée : ça dépend du point de vue. Donc je ne vais pas te donner des conseils pour écrire un mauvais roman cher mon lecteur/écriveuraussiunpeu, mais un roman qui sera critiqué, déprécié, décrié. Des romans mal aimés. C’est important d’écrire des romans qui ne sont pas appréciés, c’est très important. C’est un argument de vente absolument inédit. Des bons romans, il y en a déjà partout, écoute-les parler, regarde-les, dans les librairies, à la télévision, dans les librairies qui sont dans les télévisions, dans les journaux, il n’y a que de bons romans, tous appréciés par l’un ou par l’autre, à tout le moins. Non, il s’agit d’être vigilant, de se démarquer : il s’agit d’écrire un roman qui ne plaira à personne. C’est un créneau encore inexploré, le créneau du mauvais roman. Alors bien sûr, des mauvais romans il y en a déjà eu des milliers dans l’histoire de la littérature, mais aucun qui ne le présentait comme un argument de vente. Le roman qui joue franc-jeu, cartes sur table, honnêteté, transparence et tout le bazar. C’est le créneau littéraire du 21ème siècle mes enfants.

Mais rien ne sert d’attendre plus longtemps alors laisse-moi te présenter la recette miraculeuse pour écrire un mauvais roman. (Prends garde, même en suivant scrupuleusement les étapes de confection, tu n’es pas à l’abri d’écrire un bon roman. Or il n’y a rien de plus consensuel qu’un bon roman, ils sont déjà partout sur les étals des libraires avec des bandeaux qui indiquent la médaille de bronze de la foire aux bouquins d’occasion de la ville de Romorantin ou un avis positif du petit neveu de Simone de Beauvoir qui est boucher dans l’Essonne).

1. Alors d’abord, inspire-toi profondément d’un ou deux auteurs, voire d’un film, que tu apprécies. Plonge-toi dans sa plume, écris avec ses mots, ses obsessions, ses tics, singe-les. Fais un melting-pot de tout ce qu’il a fait de mieux à tes yeux. Si toutefois tu ne peux réfréner l’envie d’aborder des thèmes propres, fais-les passer, plus tard, pour des thèmes sous-jacents à l’oeuvre de ton mentor, rien ne doit jamais venir de toi.

2. Déçois ton lecteur. C’est une règle primordiale pour déplaire. Fais monter la sauce, excite l’appétit de ton bêta lecteur théorique et surtout ne réponds à aucune de ses attentes. Aucune. Ecriture, personnages, style, rebondissements, scénario. Déçois sur tous les plans. C’est sûr, c’est un coup de maitre.

3. Crée un personnage principal avec qui absolument personne ne voudrait s’identifier, un personnage antipathique, mou, riche, mysogyne (n’oublie pas que la grande majorité de ton lectorat est féminin et ne te contente donc pas d’un personnage macho, certaines apprécieraient).

4. Ecris pour toi. Pour toi seul. Ecris ce que tu aimes lire. Pars en délire, en hallucinations. Mais pas trop. Le lecteur ne doit pas arrêter la lecture, il doit terminer ton roman et dire qu’il ne l’aime pas. Sans cette intrasigeance, rien n’est possible.

5. Fais apparaitre des personnages qui déstabilisent le lecteur et l’irritent parce qu’il ne comprend décidément pas ce que la grand-mère ou le serviteur latino vient faire dans l’histoire, out of the blue.

6. Ecris trop. Pas selon tes critères (je te rappelle qu’à la fin de l’écriture, tu dois pouvoir dire, c’est le meilleur roman que j’ai jamais lu) mais selon les goûts du lecteur bêta théorique. N’hésite pas à en remettre une ou deux couches. Il n’y a rien qui déprécie plus un roman qu’un lecteur qui se dit que finalement t’aurais pu ramasser cette « histoire » sur 22 pages au lieu des 220.

7. Change de style en cours de roman. Il se peut qu’un lecteur téméraire s’habitue et s’adapte à ton style, ne lui laisse pas cette opportunité, surtout pas. 

8. Ecris une fin sans queue ni tête ou une fin qui ne surprend personne, c’est le meilleur moyen de terminer un roman. Parce qu’une mauvaise fin, ça donne toujours un mauvais bouquin.

Voilà. Je pense que si tu restes consciencieux, il ne devrait pas y avoir de surprise et tu devrais t’en tirer avec un roman qui déplaira. C’est tout ce que je te souhaite. Si tout cela te semble très théorique, je te propose découvrir le premier mauvais roman publié, qui rassemble toutes les étapes décrites ci-dessus. Un modèle du genre. Le mauvais roman par excellence (selon les très stricts crtières des critiques littéraires en vigueur en Francophonie) :

 

                                                                          la hyène

 

A votre service (prochaine tuto : comme le publier et comment le vendre)

PS : il se peut que certains fans ou groupies viennent te consoler maladroitement en te disant que si, il est pas si mauvais ton roman. Sèche leur larme, ouvre-leur une bouteille de vin et murmure leur : « Rien ne serait plus terrible, tu leur diras. C’est mon roman et j’en suis fier. Je ne veux point de vos cajoleries, parce qu’il n’y en a nul besoin. J’ai enfin écrit un mauvais roman, le créneau du 3.0 »

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