Comment j’ai intégré le cercle littéraire bruxellois (ou comment j’ai rencontré Ariane Le Fort)
Comment en est-on arrivé là ? Nous sommes le 15 décembre 2020. Je viens de terminer mon 9ème manuscrit, le plus ample, le plus ambitieux, un roman monde, une bête devenue trop grande, trop indomptable pour moi. Aucun éditeur n’a donné de suite. Je finis par bafouer mon amour propre en implorant mes derniers éditeurs de m’aider à travailler le texte, à le tailler, à le restructurer, m’aider à reprendre le contrôle sur un monstre qui m’intimide et face auquel je me sens désemparé. C’est balayé d’un mail laconique, après que j’ai dû les relancer, sans réponse après 3 mois.
Et là, je suis seul, abandonné au milieu de terres arides, sous un soleil gigantesque qui ne réchauffe plus rien. J’ai la gorge sèche et pas une oasis à l’horizon. Alors, je fais la seule chose à faire, je me mets à marcher : les plus grands voyages commencent par un premier pas, disait Confucius. Et je repars de loin. C’est sans doute la période la plus aride de ma vie littéraire, encombré de ce que j’écris, sans savoir trop quoi en faire. J’ai abandonné les textes qui étaient ratés, j’ai laissé reposer ceux qui devaient maturer mais ici, je ne sais pas comment faire. Et pourtant je ne peux pas l’abandonner, c’est mon manuscrit le plus important, le plus ambitieux et il représente le plus ce que je peux écrire. Si je l’abandonne, c’est tout mon projet littéraire que j’abandonne.
Et puis à la fin du désert, sur la troisième à droite après le torrent de sable, peu avant la sortie, je postule pour une bourse d’avis sur manuscrit. On l’attribue pendant l’été 2021. On peut choisir le correcteur, je demande à Myriam Leroy que je ne connais pas personnellement mais qui siège à l’organisme qui m’attribue la bourse et elle me répond : Ariane Le Fort. Prix Victor Rossel, publiée au Seuil et une écriture de l’intime, à l’opposé de ce que j’écris.
C’est la pire écrivaine francophone qui existe.
Ariane Le Fort
Je la rencontre à Bruxelles un soir d’octobre dans une brasserie autour de la Bourse. Il est 18h. Je rentre et on se tourne autour avant de se rendre compte qui on est. Visiblement, aucun de nous n’a cherché à savoir à quoi ressemblait notre date littéraire. On s’installe, elle est face à la pièce.
– A 20h30 les Diables jouent et je vais les voir avec mes fils.
– Ca me va trés bien.
– Ah, derrière toi, il y a la fameuse XX XX. (Tu comprends cher mon lecteur que je garde son anonymat. Et en la voyant quitter la pièce) C’est sans doute la plus mauvaise écrivaine francophone qui existe.
Allez. On boit des blancs et des triple Karmeliet. J’ai parfois la crainte intime quand je rentre en contact avec le monde littéraire de voir des vieilles dames moustachues qui sentent la poussière et de croiser des vieux hommes qui peignent les poils qui leur sortent des oreilles et qui parlent comme s’ils avaient une vieille énigme cruciverbiste irrésolue coincée au fond de la gorge. Mais pas là. Il y a une énergie qui me plait. Il y a une lame tranchante et aiguisée qui se promène au bout des yeux. Alors on parle. On se rencontre. Et on découvre assez vite qu’il y a un quiproquo : elle n’a pas lu le manuscrit que je pensais qu’elle l’avait lu et pour lequel je pensais qu’on avait rendez-vous. Elle est venue au rendez-vous simplement par curiosité, il semble. Mais je suis sorti du désert, elle peut le lire dans 6 mois, ce sera pareil pour moi. Ca crée en vérité une opportunité, on creuse au fond de soi, on y cherche un peu de vérité, puisqu’il n’y a pas de correction à faire et aucun texte sur lequel parler.
Au fur et à mesure de la conversation je me rends compte qu’Ariane Le Fort, ancrée dans le monde littéraire belge, ne connait pas mon roman, à peine mes éditrices. Malgré un prix à Chambéry dont l’écho partait de trop loin. Malgré un lancement à la foire du livre de Bruxelles. On peut se demander comment le gotha belge n’a pas reçu une demi douzaine d’exemplaires pour se faire une idée de la littérature que les éditions Diagonale produisaient. Il est 20h. Dans 45 minutes les Belges se feront coiffer par La France après avoir mené 2-0. Je noie la douleur dans les bars portugais de Saint-Gilles.
Pour un soir, j’ai plongé dans le milieu littéraire bruxellois. J’ai rencontré Ariane Le Fort. Et la promesse des jours à venir. Quitte à devenir le pire écrivain francophone vivant. Parce qu’alors les textes seront en vie. Et alors vraiment tout peut arriver.