Comment je suis devenu écrivain intermittent
Ca m’a pris du temps. Longtemps. Sept ans. Mais cet article a été écrit il y a déjà plusieurs années. Et depuis, la sensation chavire. Un écrivain écrit. Mais il est aussi publié. Il n’y a pas de statut définitif et pour rester un écrivain, c’est un combat aussi intense et acharné que de le devenir.
« Il y a 7 ans, il y a eu le big bang dans mon cerveau. J’habitais avenue Louise, je venais de débarquer à Bruxelles, il faisait gris, il faisait froid, je venais de terminer des études Trivial Poursuit et je cherchais du travail. Stromae commençait à faire tourner ses leçons, les Diables Rouges étaient 35e au classement FIFA, je venais de me marier. J’avais 23 ans. Big. Bang. J’étais assis sur les bancs Marguerite Yourcenar, au milieu du carrefour – elle habitait le même batiment que moi, il y a longtemps, le 193 de l’avenue Louise – et ça m’est tombé dessus, ça m’a traversé comme une vague, c’était un ouragan, un typhon, un tremblement de terre, il n’y avait plus de certitude, juste des failles qui laissaient entrevoir une lumière nouvelle, j’apercevais des promesses au fond du gouffre, alors je me suis jeté dans le vide, c’était une étoile noire, à laquelle on ne peut résister, l’attraction était trop forte, la descente était longue, il ne semblait pas y avoir de fond. J’ai commencé à écrire. Le vide abyssal, tu connais cher mon lecteur. Je l’ai traversé, du haut de cette falaise, jusqu’à ce fond qui n’arrivait jamais. 5 manuscrits. Des premiers pas étranges dans le monde de l’édition. Un premier roman que je vendais comme d’autres vendent des capsules de café ou des tapis de salle de bain.
Et si t’as déjà joué aux jeux vidéo, surtout sur Super Nintendo, tu connais ces chutes infernales sauvées par un nuage qui te remonte à la surface. Le nuage a pris la forme d’une bourse en résidence d’auteur à Rome, en 2013. D’un roman écrit en 1 mois. Et d’un titre, Quand les ânes de la colline sont devenus barbus. Depuis, il y a eu la rencontre avec Pascaline et Ann-Gaëlle des éditions Diagonale, le lancement à la foire du livre de Bruxelles et cette impression un peu vague que ce monde n’était pas le mien, que je n’y avais pas ma place, pour je ne sais quelle raison.
On est tous nés à Chambéry
Fabrice
Et puis il y a eu le festival du premier roman de Chambéry. Je suis encore dans la sueur savoyarde, de ces 30 degrés épais. C’était vendredi matin, je suis parti de Lisbonne, j’ai atterri à Lyon, attendu des heures à la gare insecte de Saint-Exupéry et pris le bus jusque Chambéry. Là, un bénévole m’attendait. Il m’a conduit vers l’hotel des Princes, il m’a parlé des éléphants et des légendes qui traversent les rues. Sur le lit, sous le regard bienveillant d’un cerf, posé sur la couette, une feuille de route pour tout le week-end, des chocolats, l’enregistrement audio du roman et cette première impression de mue.
Et puis on m’a conduit au chapiteau où on buvait une bière tranquillement. Et là, des murmures, « c’est les ânes barbus », des regards en coin, des gens que je n’ai jamais vus qui viennent boire une bière avec moi, viennent me féliciter, dire que je ne ressemble pas à l’image qu’on se fait de l’auteur après avoir lu le roman. Puis on a été invité à manger, tous ensemble, les auteurs, Pierre-Henri Désérable, lauréat en 2015, Mathias Enard, le parrain de cette édition, lauréat du prix Goncourt et les organisateurs. Je mange avec un ancien lauréat, Fabrice, qui dira « on est tous nés à Chambéry ». Ils rigolent. Je ris aussi. Pour l’instant.
Et puis je me suis endormi dans un lit trop grand, trop moelleux, trop plein d’oreillers. Au réveil il y avait un petit-déjeuner littéraire, avec quelques copines, toutes avaient déjà lu le roman. La timidité, tu sais, c’est quelque chose qu’il faut affronter, qu’il faut combattre, debout, droit, survivre aux premières minutes et puis lentement le corps se relâche et se détend. Peut-être même que je me sentais à l’aise, à un moment.
Et puis je suis parti avec Claude, Saïdeh et Parisa, deux auteurs d’origine iranienne. C’était un samedi matin, le soleil était clair, il faisait chaud, c’était loin du centre, au milieu d’immeubles hauts, au milieu des terrains de foot grillagés. Je ne m’attendais à rien, mais certainement pas à ça. Nous sommes arrivés en retard, la directrice nous a accueillis et on a fendu la foule qui n’avait pas pu trouver une chaise libre, toutes étaient occupées, plus de 80 places assises. Et là, face à ces gens venus nous écouter parler de livres qu’ils avaient lus, le sentiment nait. Ce sentiment étrange, impossible à identifier sur l’instant. Nous parlons et puis le public se lève, pose quelques questions, et chaque fois que ces femmes se lèvent, prennent le micro et me félicitent, qu’elles me parlent des ânes barbus avec une émotion évidente, le sentiment grandit.
Je brûle le reste de l’après-midi à faire quelques dédicaces au stand de la librairie Decitre, à regarder le match des Belges et à marcher à travers un Chambéry bouillant. Et puis j’ai assisté à une lecture assis contre un pilier du cloitre, j’écoutais distraitement les bénévoles avec qui j’avais mangé à midi lire les romans de deux écrivains.
A la fin, une femme vient me voir, me demande une dédicace. Elle s’est penchée, délicatement, discrètement, pudiquement. Et elle m’a dit qu’il y avait trop de monde le matin à la bibliothèque G. Brassens pour pouvoir m’approcher. On s’approche lentement d’une autre réalité. D’une autre vie. Je traverse les plaines, et je me retrouve par-dessus la barrière, prêt à basculer, c’est une autre vie de l’autre côté. C’est ma mue qui est engagée.
Le soir, on mange au chateau au-dessus de Chambéry, on boit de la sangria et on mange de la paella, enfin pas moi parce qu’on m’a préparé un repas spécial phénylcétonurique. Sans trace de protéine. La soirée s’endort sur les discussions avec ces bénévoles venus de partout, faisant partie de comités de lecture qui remettent un classement pour le festival, c’est grâce à elles que je suis là. On parle d’ânes barbus, d’Iran, d’Obama, d’Ouzbékistan. De la vie, la belle, la grande. Celle que je traverse.
Et puis il y a le dimanche pluvieux, l’impression vague d’incarner enfin la vie que j’ai commencé à vivre il y a 7 ans. Je le vois dans leurs yeux. Une rencontre avec Yann et deux auteurs, Dominique Scali venue de Montréal avec un western prometteur et Kamil Hatimi. Après avoir mangé du fromage et bu du vin avec Dominique et l’équipe des bénévoles, on pénètre une salle bondée, de nouveau. Et là le sentiment est prégnant. Il va falloir vaincre la timidité, combattre la gorge sèche et puis tout ira mieux et puis tout est allé mieux, à l’aise je vous dis, après une belle heure. Je suis à ma place. Enfin. Finalement.
Je suis devenu écrivain, dans leurs yeux.
A Olivia, Isabelle, Colette, Marie-Jeanne, Jack, Job, Dominique, Parisa, Saïdeh, Claude, Chantal, Elodie, Fabrice, Yann, Raphaëlle, à tous ceux dont je n’ai pas retenu le prénom, à tous ceux dont je ne connais pas le prénom, à bientôt,
Parce qu’on oublie jamais l’endroit où l’on nait.