Comment vendre un mauvais roman

Il faut savoir une chose, importantissime, quand il s’agit de vendre un produit, tout commercial vous le dira : c’est la confiance dans le produit. Plus vous parlerez avec fierté, enthousiasme et conviction de votre roman, plus vous convaincrez votre auditoire. Vous pouvez par exemple expliquer « Ceci est un mauvais roman, voire un très très mauvais roman, publié par un très mauvais éditeur ». Après, c’est un parti pris auquel tout le monde n’est pas encore prêt à adhérer. « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt » écrivait Marguerite Yourcenar. Mais le futur, c’est le mauvais roman assumé, ne l’oublie jamais, c’est l’honnêteté, c’est la transparence dans le contrat moral qui te lie au lecteur !

Qui dit nouveau concept, dit nouvelles techniques commerciales : alors, comment et à qui le vendre ce mauvais roman ?

1. Il faut s’attaquer à une nouvelle catégorie de consommateurs, oubliés jusqu’à présent : les gens qui ne lisent pas. Trop souvent effrayés par des livres trop intellectuels, trop cérébraux, trop inaccessibles, trop longs à lire, ils se sont tenus éloignés de toute forme de littérature depuis des siècles. Ils avaient bien essayé de lire ce roman dont tout le monde disait le plus grand bien autour de la machine à café mais ils n’avaient vu ni « cette profondeur intime, terriblement émouvante et à la fois si pudique », ni « cet humour dévastateur, d’une finesse intolérable, provocant ce rire viscéral, qui vous retourne les tripes et vous cloue sur votre séant, à travers ce regard cinglant et cettte vérité implacable ». Désormais, ils se sentiront à l’aise quand il s’agira de dire tout le mal qu’ils ont pensé d’un ouvrage, toute l’incompréhension ressentie pendant le passage de 32 pages sur le système de vérin d’un marteau piqueur. Le mauvais roman c’est le retour de la culture accessible à tous, c’est la culture qui tisse enfin des liens entre toutes les catégories sociales, unanimes.

2. Réinventez les lieux de vente. Les librairies, les bibliothèques, ça sent la poussière et ça ennuie tout le monde. Et les supermarchés, c’est trop commun. La boucherie semble, désormais, l’endroit le plus approprié pour vendre un mauvais roman. Et il n’y a pas meilleur commercial qu’un boucher. La population, ennuyée du baratin des libraires, des attachées de presse, des articles trop longs, se fiera davantage à l’avis tranché de son boucher : « ça, c’est de la merde ! Enfin, c’est ce qu’on en dit. Perso-nnellement, je l’ai pas lu. Mais achetez-le, je touche 10% et c’est le fils d’un copain qui l’a écrit ». C’est imparable. Il y a là tout ce que le consommateur du XXième siècle recherche : la transparence et la proximité. C’est un autre élément prépondérant, le facteur de proximité. Le futur lecteur doit savoir que ça a été écrit par quelqu’un du village, le fils d’un copain du boucher, pas une de ces élites de la capitale. Comme ce n’est pas possible d’être copain avec tous les bouchers d’une région ou d’un pays, glissez cet argument imparable au boucher. Un petit mensonge n’a jamais tordu les tripes d’un boucher prêt à faire des affaires.

3. Offrez de la culture bon marché. Les gens aiment réfléchir mais pas à des trucs trop compliqués. Quand vous leur parlez, quand vous donnez des interviews, quand vous parlez de votre bouquin, offrez-leur des formules péremptoires simples : « Mon malheur a fait mon bonheur et j’ai pour devise : il vaut mieux vieillir que mourir ». Personne ne peut vous contredire et chacun vous comprendra. Jackpot.

4. Adoptez des stratégies marketing très agressives. A l’achat de deux saucissons, un roman offert, à l’achat de deux boites de poudre à lessiver, à l’achat de deux tapis ottomans, de deux durums, de trois canaris, de deux pneus hiver (jumelez vos activités avec celles de votre entourage, cela renforcera les liens et cela fera de votre entourage votre premier représentant commercial). Le but est toujours d’amener le bouquin dans des maisons où il n’avait aucune chance d’être lu. Si vous parvenez à être le premier roman à atterrir dans ces chaumières vides de toute littérature, c’est le jackpot assuré. Certes, il faudra du temps avant d’être lu mais quand d’autres humanoïdes se rendront dans ces chaumières où il n’y a que votre seul roman sur la table basse du salon, la discussion s’arrêtera invariablement sur votre roman. « Eh ben alors Thierry, on se prend pour Baudelaire, on lit des bouquins ?? » Et si les humanoïdes discutant montreront peu d’intérêt pour l’objet littéraire en lui-même, ils sont toujours à l’affût d’une bonne affaire (ou d’un cadeau dans ce cas-ci). Ils n’ont que faire de votre roman et pourtant ils seront très heureux de le recevoir gratuitement. Peut-être seront-ils habités par ce très efficace sentiment de jalousie à la vue du roman sur la table du salon de Thierry qui, s’il peut lire un bouquin, je le peux aussi. Ainsi se développera un réseau incroyable de non-lecteurs de vos écrits. Vous avez réussi à devenir l’auteur le plus connu et le plus populaire auprès des non-lecteurs, un tour de force qui asseoira définitivement votre succès.

5. Fuyez les séances d’information ou de dédicace en bibliothèques, librairies ou autres foires du livre. Il est temps d’exploiter d’autres terrains de jeu. Squattez les buvettes de club de foot, où votre acharnement à soutenir l’équipe finira par être remarqué, animez les bingos du clos des Lillas, où votre humour et votre gentillesse seront inévitablement loués, présentez des concours karaoké, tenez le plus grand stand à la fancy-fair, faites des gateaux gigantesques pour les gouters d’anniversaire, occupez tous les terrains, sauf ceux où on pourrait vous attendre.

Surtout, ne perdez jamais espoir, les mauvais romans mal publiés auront, dorénavant et pour toujours, la possibilité de se frayer une place au soleil. Il se vendra votre roman, soyez-en certain. Et d’ici là, bonne chance. Et vive les boucheries.

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