Comment vivre de son écriture ?
Tout le monde en rêve (quand je dis tout le monde c’est à peine imagé, Gallimard recevrait un manuscrit toutes les 8 secondes – c’est une image, le facteur ne passe toujours qu’une fois, après sa lampée de whisky, Bukowski tribute – étant donné le temps pour rédiger le manuscrit, ça a fait dire à certains qu’il y avait, en Belgique et en France, plus de gens qui écrivent que de gens qui lisent). Aujourd’hui tout le monde rêve de vivre de sa passion, quitte à bosser 32 heures par jour (c’est encore une image, il n’y jamais que 24h dans une journée, même quand on ne dort pas et qu’on boit beaucoup) et à se saigner à blanc. On est à un tournant civilisationnel, je pense, rien de moins. Les gens acceptent de moins en moins de se bousiller la santé et de gaspiller leur temps pour un boulot qui les emmerde. Du coup, beaucoup d’entre eux rêvent de vivre de leur écriture (épargnez-moi l’expression, vivre de sa plume, elle est invalidée depuis l’invetion du crayon en 1795 par le chimiste français Nicolas-Jacques Conté. Et leurs rêvent se fracassent : trop compliqué, trop inacessible, le rêve. Vraiment ?
1. Un manuscrit à Le Dilettante tu adresses Et tu attends la réponse. Si c’est oui, jackpot ! Mais ça sera vraisemblablement non avec une fiche de lecture explosive, destructrice, une lettre au sulfate de potassium pour tenter d’éviter tout tentative ultérieure d’écriture ou à tout le moins, de s’adresser à eux. L’étape 1 est indispensable pour se blinder un peu après des mois d’efforts solitaires dans son coin, dans un monde peuplé de gentils êtres bienveillants et d’utopies convaincues. Il est temps de se manger la réalité en pleine tronche.
2. Un éditeur de renom tu connais ou un bon manuscrit tu envoies (et de préférence les deux conditions tu remplis) Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, ils publient aussi des mauvais romans et surtout, tous les bons manuscrits ne sont pas publiés. D’ailleurs, c’est quoi un bon manuscrit ? Mis à part quelques consensus autour de très rares ouvrages, chacun a plutôt son avis perso sur la question et je ne pense pas que ce que j’aime lire soit ce que toi, tu aimes lire. Tu piges ou bien ?
Maintenant tu as le choix entre la version rapide et l’autre, la vraie.
Version rapide
3. Un discours de ouf aux médias tu serviras Bon, admettons que t’as publié ton bouquin chez un éditeur, en fait, chez n’importe qui, même chez un boucher de ton village qui souhaite arrondir ses fins de mois en tentant d’exploiter le filon et la naïveté des primo-écrivains en quête d’un idéal de vie. Le bon point, c’est que personne n’aura d’a-priori sur ton oeuvre ou sur l’éditeur puisque personne ne le connait. Après tu vas contacter les médias. Quand je dis média, va falloir gravir les échelons un par un et là, on va pas se sacher, t’es à la cave. Donc souris et sois poli avec le type du journal local qui se déplace pour un bouquin qu’il n’a pas lu et qu’il ne lira forcément pas. Mais ce gars-là, c’est ta bouée de sauvetage dans l’océan de l’anonymat, ne le lâche pas et à lui, là, tu lui sers un discours de malade. Pas trop extrême parce que sinon tu risques de lui foutre la trouille mais quand même bien décalé. N’hésite pas à adapter ton discours en fonction de ce qui te démarque, à ses yeux à lui, à ses yeux de journaliste. Après il se peut que l’article qui te présente un peu comme un allumé du cigare fasse écho. Ou pas du tout. Fais autant de ramdam possible autour de cet article. Tu montes peut-être d’un échelon. Tranquille. Pas trop vite. De toute façon, c’est pas toi qui décides. Et puis peut-être bien qu’un autre média va s’intéresser à toi. La radio, le web ou un journal plus distribué. Crée ton identité, construis toi un personnage de ouf, c’est la seule solution. Mais le grââl ultime, c’est la télé. La télé ça marque les gens. Ils voient ta tronche, ils t’entendent parler, ne fut-ce que 30 secondes et ils se font une opinion sur toi. Parle bien, tiens-toi droit, sois sûr de toi sans être arrogant ou hautain, les gens détestent ça et ils t’enverront dans la tronche avant même que tu l’ais vu venir « Comment y se la raconte le pseudo écrivain que personne connait ». On est d’accord, c’est plus du tout le même métier. Mais voilà, c’est comme ça aujourd’hui, plusieurs casquettes, pluri-disciplinarité. Tu vois le bazar.
4. Le buzz tu créeras Ca, c’est une arme à double tranchant. Si tu crées le buzz (si t’es déjà un peu connu c’est plus facile), ça signigie que la pression va être intense sur toi pendant quelques jours, voire une semaine, ou deux. Je te conseille de t’éloigner des réseaux sociaux et de ton portable. D’un coup, toute forme de pression disparait. Mais c’est à double tranchant parce que personne n’a jamais établi un lien clair entre ton buzz et la vente de tes bouquins. Le buzz, ça te rend connu, une semaine ou deux et puis les gens t’oublient aussi vite. Mais tu pourras surfer sur la vague pour décrocher un autre boulot rémunérateur, généralement pas trop valorisant si tu le décroches après ton buzz, mais ça y est, tu gagnes ta vie grâce à l’écriture (enfin, tout a commencé grâce à l’écriture !)
Versio réelle
3. Les médias en vain tu attendras Bon, bien sûr, t’auras des blogs qui vont parler de toi, la presse un peu et peut-être même la radio, dans une interview de 32 secondes dans le journal de 17h30 ou pendant 90 minutes sur une radio que ton public cible n’écoute forcément pas (d’ailleurs qui écoute ça, honnêtement, à part moi ?). Mais à part nourrir frugalement ton utopique rêve et tes ambitions de nouvelle vie, l’impact sera plutôt limité.
4. Les lecteurs, les libraires, les foires du livre, les bibliothèques, les homes, tu visiteras Il y aura d’abord ta soirée de lancement, sans doute à la capitale, il y aura du monde et tous les gens feront semblant d’y croire. Mais après il va falloir prendre ton abonnement train-tram-bus et sillonner la francophonie pour aller faire des dédicaces, lire un extrait, dire que ce personnage, non ce n’est pas toi, enfin si, un peu quand même. Le climat tu maudiras, fatigué tu seras mais c’est l’indispensable clé de ton rêve, tu le sais, tu le vis et tu fermes ta gueule. Tu passeras des weekends entiers dans des foires du livre du Périgord, à loger dans des gites somptueux que la vente de tout ton stock de livres ne remboursera pas. Tu seras éloigné des tiens, un peu, tu t’oublieras un peu, dans cette quête qui te paraitra parfois inacessible, sur le trajet du retour.
5. Que le lecteur lise, tu attendras Tu n’auras pas d’autres choix. Attendre de voir ce que le public en pense. Voir si le fameux bouche-à-oreille fonctionne. Et des comptes à ton éditeur tu demanderas.
Et puis il y a beaucoup de chance que tu te mettes à écrire un autre manuscrit, que la motivation revienne et tu seras reparti comme en 40, monté sur des ressorts, prêt à traverser des océans et à renverser des montages. Prêt à repartir du point 1 ou du point 3 si tu fais déjà partie des privilégiés qui ont un éditeur qui les suit. Et tu ne perdras pas courage parce qu’il y en a qui arrivent à vivre de leur écriture, alors pourquoi pas toi ?
Mais n’oublie jamais ce que Lao Tseu disait : le but n’est pas le but, c’est la voie