De la subjectivité en littérature
Un jury n’est pas l’autre, un lecteur n’est pas l’autre, tout est dans tout, rien n’est dans rien (ne cherche pas le sens caché de cette formule, il n’y en a pas, elle ne fait aucun sens, j’avais simplement très envie de l’écrire). C’est un truisme, une vérité absolue, le genre de truc que tu peux sortir à toutes les sauces, ça ne tache pas, ça te laisse la bouche propre et personne ne pourra jamais te contredire, bref c’est le genre de phrase qui n’anime pas franchement les diners. Mais ça reste une vérité d’actualité pour tout le monde. Et donc pour moi. Tu le sais sans doute, j’écris. Des romans. Et des nouvelles. Parfois j’ai l’impression de m’appliquer à la tâche, de faire les choses bien, d’appliquer les bonnes règles et quand c’est en corrélation avec une grande inspiration et une écriture maitrisée, je pense que je produis mieux, j’écris alors ce que je suis, pour l’instant, capable d’écrire de mieux. C’est ainsi que j’ai écrit deux nouvelles qui ont reçu des prix aux concours organisés par la fédération wallonie-bruxelles, un des plus importants – et donc un des plus relevés, c’est ce que je me répète comme un mantra – concours en Belgique francophone, et par un kot à projet à Louvain-la-neuve. D’un côté un événement vaguement mondain, un peu élitiste sur les bords et de l’autre un jury composé d’étudiants. Deux jurys différents. Qui ont chacun choisi de plébisciter mes textes. Et les bons textes, c’est comme les bons filons, tu tentes de les exploiter jusqu’à les assécher. C’est comme ça que je me retrouve à les porter sur short-edition, qui organise des concours de nouvelles dont le jury est populaire, dont le jury est chacun de toi, internaute-lecteur lambda. Mais voilà que le premier texte n’est même pas mis en ligne, recalé par le comité de lecture. Et que le second s’est éteint dans l’anonymat le plus complet parmi les centaines de nouvelles.
Alors, bien sûr, ce qui plait à l’un ne plait pas forcément à l’autre. Mais j’ai été assez sidéré qu’un texte plaise autant à l’un et si peu à l’autre. Qu’un jury le juge bon, inventif, robuste, enlevé et que l’autre le trouve simplement mauvais. Je ne juge rien ni personne, je ne suis pas du tout aigri par une quelconque décision mais cela m’étonne méchamment. J’en ai déduit qu’une oeuvre pouvait, en même temps, pratiquement au même endroit, aussi bien être « admirée » – parfois je me permets certains largesses avec la réalité des faits – que détestée ou plus justement, ignorée, n’éveillant rien, absolument rien, chez un lecteur. Je parle de mes textes parce que ça m’a d’autant plus frappé mais je suis certain que n’importe qui ayant déjà eu affaire avec la critique ou le jugement peut en attester. Et cela remet profondément en cause plusieurs principes. Toute oeuvre admirée peut aussi bien être détestée, pour les mêmes raisons, moi qui pensais, dans mon apparente naïveté, que certaines règles suffisaient à faire d’un texte un « bon » texte, un texte recevable, qui ne plairait certainement pas à tout le monde mais qui recelait d’assez de qualités pour passer outre certaines critiques ou certains obstacles de jugement. Eh bien non. La littérature est un art et apparemment un art fonctionne sans règle, simplement à l’affect de chacun de toi, cher mon lecteur. Ainsi en est-il de la subjectivité en littérature. Rien ni personne n’est à l’abri.