Il était une fin
Je m’envole, en dessous il y a Lisbonne et la poussière des souvenirs, le parfum des rues, le gout des rires. Il y a partout, tout autour, des visages, des mouvements de paupières, des rides étroites, partout, dans les nuits tièdes, sur le sable, sous un ciel de pluie, à l’intérieur d’une tasca chaude, à se faufiler entre les mots venus de l’autre côté du Tage : des visages, des visages aux expressions exagérées, gigantesques, il y a, sur ces visages, la stupeur, l’effroi, la joie et rires, partout des rires énormes, sur les balcons du bairro Alto, dans les rues des villages isolés du Nord ou du bord de mer, sous la lumière saccadée des bars souterrains.
Il faut écrire parce que les vies s’accumulent et s’entassent, les images disparaissent sous la poussière du soleil, les voix, les parfums, les regards disparaissent alors Jonathan, Kata, Charlène, Toni, Walter, Daniele, Frederico, David, Antonio, Morgane, Manon, Valentin, Claudia, Simon, Léo, Mathieu, Sofian, Lars, Matilda, Mikael, Miguel, Celestino, Stéphane, Nabana, Marie, Noémie, Angelos, Hakan, Amanda, Matilde, Giulia, Stéphania, Océane, Lucile, Nour, Diogo, Hugo, Amandine, Hélène, Emilie, Arthur, Marjorie, Vanessa, Iman, Christopher, Alexis, Joris, Nathan, Boncompagni, Gosia, Milissa, Piera, Ramzy, Alex, Roberta, Linda, Vincent, Maelys, Rairi, Daniel, Annette, Kevin, Gerry, Taina, Leila, Willy, Jeremy, Abel, Driss, Cindy, Guillaume, Alice, Marco, Isabelle, Virgil, Ilaria, Stéphanie, Mafalda, Tom, Camille et tous ceux qui s’effacent déjà.
Lisbonne disparait rapidement sous les nuages. Et la pluie, en-dessous, en bas. J’ai laissé les appartements dans lesquels j’ai vécus, vides, Lumiar, Portela, Picoas, Parque das Naçoes et même cet appartement d’une nuit fantastique au-dessus du cimetière d’Anjos, je laisse les dizaines de restaurants dans lesquels je me suis installé essuyer leurs plats humides, je laisse les dizaines de bars que j’ai bus se remettre de la nuit, je laisse les rues se laver de la pisse chaude, je laisse les façades d’azulejos que j’ai effleurées se préparer à briller pour le soleil des printemps, je laisse les plages aux seules mouettes sous le déluge de mon départ.
Il y a une percé dans les nuages et sous l’aile j’aperçois Nazaré, Obidos, Mafra, Ericeira, Tomar, Evora, Sintra, Buçaco, Buddha garden, Azenhas do Mar, Alcobaça, Aveiro, Porto, Braga, Guimaeres, Pinhao, Manteigas, Sojao, Coimbra, Sesimbra, Setubal, Troia, Azeitao, Cascais, Estoril, Carcavelos, Mertola, Marvao, Monsaraz, Tavira, Lagos, Vila Nova de Milfontes, Sagres, Peniche, Zambujeira do Mar. J’aperçois encore l’odeur de taureau en sueurs dans les rues de Moita. Je survole le monde, des kilomètres par-dessus une épaisse couche de nuages et quand l’avion plongera à nouveau vers le sol, tout aura changé, tout aura disparu.
Seulement ces notes