La reine de Birmanie

sunset

Le Myanmar. La Birmanie.

C’est l’évocation d’un rêve exotique et lointain, de cigares, de junte, de ports, de jungle, de marins.

C’est l’évocation d’un mythe. Je pense à Kipling, à Norman Miller ou à Pablo Neruda, ces aventuriers-écrivains venus avant 1930 à Rangoon et à travers le pays. Je pense à eux et à leurs voyages dans ce pays de contrastes étourdissants entre les rues délabrées, sombres, puantes et envoutantes de Yangon, Yangon, sa pagode tonitruante, et le ballet sans fin des bateaux étroits sur les flancs de sa rivière boueuse et ses échoppes de rues, envahies de rats de la taille de marcassins, et puis la terre rouge sauvage et légère qui borde des rizières au vert léger, le long des grottes gigantesques ornées de bouddhas dorés et gardées par des singes alors que des taureaux fatigués mais volontaires tirent des carioles vides.

Nous avons quitté Hpa An par le fleuve, dans une embarcation étroite, à peine 2mètres, une longue pirogue où nous étions installés avec deux femmes d’un autre âge, nous avons croisé des embarcations de bois parmi les nombreux bras du fleuve et vu disparaitre lentement le Mont Zwe Gebin. Arrivés sur les côtes de Mawlamyne, parsemées de pagodes, nous avons fait route à l’arrière d’une moto et le chauffeur, fort diligent, nous a plantés au milieu d’une procession de jeunes filles moines et de travestis, bercés par une lourde musique de basse. Finalement l’auberge et sa chambre basse et étroite et l’humour du tenancier qui expliquait son niveau de français en chantant Alouette, je te plumerai en plaçant les mains sous les aisselles nous ont convaincus. Après une nuit de cauchemars hantés par un diner indien, nous avons fait fausse route tout le jour suivant vers le plus grand boudha couché du monde. Je n’avais pas cru bon de me renseigner, persuadé que les indications glanées sur le bord de la route nous mèneraient à lui. Sauf que « lying boudha » ne leur inspirait rien et « big boudha » leur faisait penser à toute statue de plus de 3 mètres à côté de chez eux. Après avoir salué les enfants à la sortie des écoles et fait demi-tour dans les rues en cul de sac qui se terminaient dans la rivière, gigantesque, nous avons terminé dans un temple posé sous la jungle. Et puis il y avait ce garçon qui n’avait jamais quitté son village et qui rêvait de devenir chanteur, il s’enfonçait sur les chemins de terre en travers des champs de lentilles, de cannes à sucre, des bananiers, des feuilles à cigares, des champs de maïs où tout se travaille à la main, où tout se joue à même la terre, cette symphonie ancestrale, où chaque village est une ethnie restée longtemps isolée et qui parle sa langue propre, ces villages où l’électricité arrive à peine pour freiner la déforestation et puis ces nates de bambou surélevées où on se pose, au milieu des montagnes et puis des nouilles, des simples nouilles, d’une simplicité si évidente et cette pâte sombre composée de choux, de thé, d’ail, de piments, de lentilles et de fruits secs, des saveurs nouvelles et surprenantes. Et puis May, le jeune garçon, salue des amis dans les champs et dans les maisons, il chante et nous tend le chetel à macher qui rend les hommes vaseux, avec un sourire de cannibale. Nous sommes débarqués à 2h43 d’un bus qui fait route vers le Nord et on gagne le centre de la ville, abandonné aux rares chiens, Mandalay est vide, il faut attendre l’aurore. Et puis des hommes se réveillent au milieu de la nuit et nous ouvrent la porte pour qu’on puisse terminer la nuit dans une chambre. On s’est ennuyé, d’un ennui joyeux et prometteur, à vélo, sur les bord du lac Inle, à  la recherche d’une source d’eau chaude, dissuadé par un serpent. Nous avons sombré dans un bus de nuit aux arrêts incessants et aux coups de klaxon impétueux, à nous agiter le sommeil. La ville est une vaste étendue dont l’atmosphère fluctue à chaque coin de rue, des tripots à l’ambiance survolée du marché de jade aux capitales historiques enfouies sous les couches de végétation. Elle offre des kilomètre de routes de toutes sortes, dépareillées et d’une pauvreté en guenilles le long des rails, goudronnées, de graviers, de pistes le long des monastères et chaque fois cette joie profonde de parler, de saluer, d’échanger, un regard ou un sourire.

Il y a le vertige de ces temples immenses et toujours vivants, posés là comme l’Atlantide, surgis de l’histoire.

Ca m’a frappé comme ça. Sur les deux premières notes près d’une plage, après des semaines de voyage. Une émotion. Un frisson. La plage aux étroits poissons et aux vendeuses de fruits annonçaient la fin du voyage. Des milliers de poissons sèchent au soleil et le Golfe du Bengale. Les corps sont aspirés par le sable et l’eau tiède. Un frisson de bilan. Des semaines, tête dans le guidon, à plonger, s’immerger, crapahuter, manger, rencontrer, tenter de se comprendre, chasser un lever de soleil, comprendre une danse si différente, si lointaine, si exotique, des semaines à se calquer sur la danse du Myanmar, à s’y perdre et puis arrive la plage de Ngapali et les deux premières notes sous une paillote le long d’un chemin de sable. Et là il y a le cerveau qui commence à faire un inventaire, malgré moi, qui veut digérer, qui trie, il y a des images brèves, des flashes qui se succèdent, le montage nerveux d’une idylle capturée à la Go Pro, on a rencontré les Shans, les Rhakines, traversé 7 villes, vu des temples perchés sur des monts qu’on pensait inacessibles, 800 mètres, à la vertical,e alors que les enfants en descendaient en hurlant, approché la peau et les visages d’hommes et de femmes, appris des enfants, souri à des bergers, embarqué dans des charettes, des tuks-tuks, des pirogues, des trains et des carioles, ri à s’en défaire les machoires, dansé dans la torpeur de la nuit, expliqué des coiffures et des désirs. Une émotion puissante. Inattendue. Celle de la traversée d’un pays. Et puis viendra celle dévastatrice de la fin du voyage.

Pendant ce séjour j’ai rencontré une fille, une femme, une enfant. J’ai rencontré quelqu’un capable de toutes les folies, qui jamais ne s’est cachée, recroquevillée, j’ai aperçu son appétit du monde, son appétit vorace des gens, elle est l’héroïne du voyage, les Birmans l’adulent, ses cheveux, ses tresses afros, sa beauté ils disent, ils viennent vers elle, curieux, un sourire immense, ils veulent des photos, des détails. Et pourtant il y avait une une appréhension, au départ, comment ce peuple accueillant, souriant et communicatif mais qui tolère une nettoyage ethnique à quelques dizaines de kilomètres de cette plage allaient-ils accepter des femmes au sang africain ? Eh bien. Les gens sont en admiration.

On repart. Je suis dévasté. Mais j’emmène avec moi, la reine de Birmanie.

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