Le journal de bord d’un confinement

Depuis le début de crise sanitaire (la guerre, je la ferais plutôt à Ebola, qui fait 10 à 15 fois plus de ravages mortels), j’ai dû annuler un retour en Belgique, une rencontre avec une classe de Sainte-Marie autour des ânes barbus, un voyage au Pérou et en Bolivie, avec ma mère, un cadeau qu’on lui a offert il y a deux ans pour un voyage dont elle parle sans doute depuis 25 ans. Et, perfidie ultime, l’impossibilité d’annuler mes jours de congés prévus pour ce voyage. Bien sûr, tout ça m’a désespéré. Tout ça me désespère. Mais ce n’est qu’un détail vu l’ampleur du phénomène.

Depuis des jours qui ressemblent à des semaines, je scrute l’avancée du virus, je crains les décisions qui vont être prises, je redoute le pire et à chaque fois, l’ampleur de menaces inédites et la martialité des mesures me laissent abasourdi. Alors je reste des heures sur mon téléphone, sur les réseaux, sur les sites d’infos, à décrypter, à tenter de comprendre, de saisir, à communiquer sans arrêt avec mes amis, ma famille, éparpillés, ils ne m’ont jamais semblé si proches, tous, dispersés partout en Europe, en Turquie ou en Amérique, tous à faire face à même menace, au même confinement, aux mêmes comportements étranges. Le monde n’a jamais été, plus qu’aujourd’hui, un village.
Tout ça me semble irréel. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Tout ça me parait fou.

Et alors, quand je repose enfin mon téléphone, quand j’éteins les écrans et les radios, quand je relève enfin la tête, alors là, quand j’interromps enfin la cohue du monde, là, qui hurle dans ce téléphone, lentement, ça ne se perçoit pas tout de suite, ça prend un peu temps, il faut laisser le vacarme se disperser et alors je réalise : j’entends arriver le silence. Un silence incroyable. Le bruit, tous les bruits, ont disparu. Il n’y a plus que le silence.

Le silence.

 

Un silence qui répare le vacarme du monde, un monde-village, mais un monde dans lequel on ne vit pas. Mon téléphone est désormais un transmetteur qui capte tous les cris du monde, tous les désespoirs et toutes les folies.

Mais maintenant le téléphone est éteint sous un arbre. Et en réalité, le monde se tait. Le monde observe.

Il n’y a que le silence.

(Et quand bientôt il faudra émettre à nouveau le premier son, j’espère qu’on aura retrouvé une tonalité plus juste.)

 

Pour les semaines à venir, je serai donc installé face à ce même écran.

2020 c’est la première fois que j’avais planifié une année dans les grandes lignes, tout était orienté jusqu’en septembre. Ça m’apprendra.

Et donc je saisis les opportunités où je peux, entre chômage technique et jours de congés inamovibles pour un voyage qui est reporté aux calendes grecques, je serai assis là pendant un mois, peut-être plus si mon employeur le décide et en ressent le besoin économique. Et comme je ne sais pas si la bourse en résidence d’écriture de juillet à Rome me sera accordée (bizarrement la promotion des lettres n’a pas encore annulé), cela sera peut-être la seule occasion d’écrire les deux romans que je m’étais promis d’écrire avant la fin de l’été.

Depuis 2013 et l’écriture des ânes barbus, j’ai décidé de ne plus écrire tous les jours mais par blocs, sur des périodes prolongées de minimum 3 semaines. Alors évidemment c’est compliqué de se dégager du temps comme ça. Ce sera donc seulement la troisième fois depuis 2013 que je peux me consacrer exclusivement à l’écriture sur plus de deux jours. Et j’ai donc le devoir de rendre ce temps productif et efficace. Je serai sous pression à partir de demain midi, après mes 4 dernières heures officielles à prester (va donc chercher un sens à tout ça, Socrate).

J’espère que toi aussi tu as l’opportunité de mettre à profit ce temps, irréel et inévitable, cher mon lecteur.

Des bisoux. Et porte-toi bien.

 

funambule

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