Le monde merveilleux de l’édition (ou comment je ne serai pas publié par Libre-Court malgré un contrat d’édition signé)

Je vous situe simplement le contexte : durant l’été j’ai écrit une nouvelle de 25 pages, L’indien, sur proposition de Libre-Court éditions. Ils disaient qu’ils cherchaient des auteurs et des textes. Un projet moderne et contemporain et bla bla bla. Et le 10 septembre, je signais un contrat d’édition concernant ce texte. Après, il y a eu quelques corrections. Et puis un long silence. Jusqu’à ce vendredi 13 décembre.

Tout ce que vous vous apprêtez à lire n’est pas de la fiction. Simplement le compte-rendu de cinq mails échangés. Vous allez rire. Peut-être pleurer. C’est la comédie humaine. Bienvenue dans le monde merveilleux de l’édition (n’oubliez pas d’essuyer vos pieds en sortant).  

 

Mail de Sybille Greindl. Vendredi 19h24.

Cher Monsieur Brichart,

L’équipe éditoriale de Libre Court a lu avec attention L’Indien, d’abord en se plaçant dans les conditions de lecture de notre public cible, puis en nous aidant d’une même grille de lecture appliquée à tous les manuscrits. Celle-ci se concentre sur l’expérience de lecture qu’offre votre texte, sur sa concordance avec la nouvelle comme genre ainsi que sur le format que nous voulons présenter à nos lecteurs numériques.

Nous avons ainsi pu apprécier votre texte. Cependant, nous n’y avons pas trouvé l’expérience de lecture de récit court que nous souhaitons offrir à nos premiers lecteurs. Nous préférons donc ne pas publier L’Indien. 

Nous vous remercions de votre collaboration et vous souhaitons beaucoup de plaisir dans la suite de vos aventures littéraires, 

L’équipe éditoriale de Libre Court

 

Réponse de ma part. Samedi 10h32.

Madame Greindl,

Je suis ravi d’avoir enfin des nouvelles de libre court editions. Néanmoins je suis surpris que cela vienne de vous, je ne pense pas que nous ayons été présentés.

Mais laissez-moi vous rappeler quelques faits. La chronologie, c’est toujours important la chronologie. Tout commence en juillet. 2013. Il y a quelques mois donc, Alexis Anger, qui se présente comme le fondateur d’une nouvelle maison d’édition numérique, Libre Court éditions, me contacte, comme bien d’autres auteurs présents notamment sur ecrivainsbelges.be. Il me présente le projet en quelques mails et je commence à écrire une nouvelle dans le format souhaité. Un mois plus tard, je lui adresse une nouvelle d’une vingtaine de pages, intitulée »L’indien ». Et le 10 septembre (ce ne sont que les faits, rien que les faits) il m’écrit, ouvrez les guillemets, je cite : « Après lecture attentive, je vous informe que nous serions ravis de pouvoir proposer votre nouvelle au sein de notre catalogue. J’ai beaucoup apprécié la qualité du texte, tant l’histoire que votre plume. Cela correspond bien à ce que je recherche. »

Et un contrat d’édition est signé dans les jours qui suivent. Oui, un contrat d’édition. Pour l’exploitation et la diffusion de L’indien par la bien nommée Libre-court éditions.

Je suis donc ravi d’apprendre via vos belles envolées lyriques que vous n’avez pas trouvé, à la lecture de l’indien, l’expérience de lecture de récit court que vous souhaitez offrir à vos premiers lecteurs alors que le fondateur de la dite maison d’édition, Alexis Anger, m’écrivait le 3 octobre : « J’étais justement en train de revenir sur votre texte. Votre nouvelle est de bonne qualité et la chute est excellente.« 

Je suis également ravi d’apprendre, ce 13 décembre, que l’équipe éditoriale de Libre Court aurait enfin lu l’indien, avec attention. Bien sûr. Je pense néanmoins que cela a déjà été fait entre la fin du mois d’août et le début du mois de septembre. Parce que le 10 septembre vous (?) m’avez proposé un contrat d’édition. Un contrat d’édition donc. Signé qui plus est. Dont j’ai une copie. Et vous aussi, probablement. Quelque part. Etant donné les ambitions de votre toute jeune maison, je n’oserais pas croire que vous adressez des contrats à des textes que vous n’avez pas lus ou à des textes que vous n’avez pas appréciés. 

Ah oui, j’allais oublier. C’est encore une histoire de faits, de chronologie, histoire que nous ayons tous les idées bien en place. Voici ce que m’écrivait Alexis Anger, le 10 octobre, après que nous ayons corrigé plusieurs fois le texte : « Bonjour John-Henri, Vous trouverez en annexe nos dernières corrections. Merci de vérifier, corriger si nécessaire, et de me retourner le fichier en portant la mention « Bon à diffuser » dans le mail. Bien à vous, Alexis. »

Cet homme, le fondateur de Libre Court editions, je le rappelle à toutes fins utiles, a donc lu, relu, (aimé), corrigé et re-corrigé l’indien et s’apprêtait à le diffuser après avoir reçu mon assentiment (ou mon bon à diffuser) ce même jour du 10 octobre. Je n’oserais pas croire qu’Alexis Anger soit un fondateur dont les décisions ne feraient pas autorité au sein de sa propre entreprise. Ou pire, qu’il ne corresponde pas au profil de votre lectorat cible. Ou qu’il ne partage pas les mêmes expériences de lecture (ça me parait assez métaphysique quand vous en parlez…) que le dit lectorat bêta. Je ne sais pas moi, imaginez Gaston Gallimard dans la même situation par exemple. Tout ça n’est pas très sérieux.

Je vous remercie pour vos quelques lignes qui ont égayé mon vendredi. A vrai dire, quand on me parlait de ces pratiques aberrantes, je n’y croyais pas. Mais si, certains le tentent apparemment : rembarrer un auteur sous contrat en 4 lignes insipides et insignifiantes. Mais très drôles. Si, très drôles ! J’ai particulièrement aimé « en se plaçant dans les conditions de lecture de notre public cible« . Alors, dites m’en plus sur ces conditions de lecture, c’est plutôt debout dans le métro ? Allongé sur une plage ? Assis sur un chaise en bois près de la cheminée ? Ma curiosité me pique.

Vous savez, ce type de courrier, je l’aurais accepté sans broncher après l’envoi de mon texte, fin aout. Mais aujourd’hui, après toutes les démarches entreprises (de votre part notamment), après la signature d’un contrat et après l’acceptation du bon à diffuser, je suis, vous l’aurez remarqué, quelque peu surpris par vos méthodes.

Je suis enchanté d’avoir fait votre connaissance,

Pouvez-vous cependant libérer Alexis Anger et lui dire que j’attends un mail de sa part, je vous remercie.

Bien cordialement,

 

Réponse de Thibaut Léonard, responsable du projet Libre-court (ça en fait du monde pour une maison d’édition qui n’existe pas encore). Dimanche 15h06.

Cher Monsieur Brichart,

Je me permets de répondre à votre email en tant que responsable du projet Libre Court. Sachez avant tout que je comprends parfaitement votre réaction et les propos que vous tenez dans votre email. 

En ce qui nous concerne, nous avons dû faire face au départ de Monsieur Anger suite à des désaccords au niveau de la sélection des manuscrits. A nos yeux, une jeune maison d’édition ne peut en effet se contenter de publier tous les manuscrits, sans respecter sa propre ligne éditoriale. De même, le travail d’un éditeur ne peut se cantonner à une simple relecture orthographique d’un manuscrit. C’est une question de respect de l’auteur et du lecteur… et c’est l’essence même du contrat de confiance entre l’éditeur et le lecteur.

Je vous remercie pour votre compréhension et reste à votre disposition pour toute question.

Bien cordialement,

Th. Léonard

 

Mail de ma part. Dimanche 21h27.

Monsieur Léonard, 

Je suis très heureux de voir surgir votre nom en fin de mail. Il apparait que c’est le même que celui qui figure tout en haut du contrat d’édition que j’ai signé avec Libre-court ou Primento. Il y était indiqué que vous en êtes le gérant. Vous avez donc signé, vous-même, le contrat stipulant que la maison d’édition que vous représentez s’engageait à publier L’indien au format numérique. Ma question est très simple et elle a déjà été posée précédemment : étant donné les ambitions de votre toute jeune maison, je n’oserais pas croire que vous adressez des contrats à des textes que vous n’avez pas lus ou à des textes que vous n’avez pas appréciés, si ? 

Je comprends qu’une maison d’édition choisisse de ne pas publier tous les manuscrits, sans respecter sa propre ligne éditoriale. Je vous cite. C’est une vérité absolue difficile à contredire. Cela ressemble à une remarque professionnelle et personnelle, en tant que responsable du projet Libre Court. Néanmoins, c’est bien votre nom qui est inscrit en haut du contrat que j’ai en ma possession. Contrat signé donc, je le rappelle. Vous, personnellement d’abord et collectivement ensuite, engageant de facto Primento et Libre-Court, avez choisi de publier L’indien. Pour dire les choses encore plus clairement : vous signez vous même un contrat d’édition pour L’indien le 10 septembre. Et vous me dites sereinement le 13 décembre que vous ne pouvez pas vous contenter de publier tous les manuscrits (en ce compris le mien, c’est ce que vous voulez dire, n’est-ce pas ?). Monsieur Léonard, avez-vous redécouvert le métier d’éditeur entre le 10 septembre et le 13 décembre ? Ou avez-vous signé ce contrat sous la contrainte (d’Alexis Anger peut-être ?)

 

Très cordialement,

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