Les ratés de l’édition
Je suis en ce moment à la recherche d’éditeurs pour mes deux derniers manuscrits, des éditeurs ambitieux qui pourraient m’amener à rencontrer de nouveaux lecteurs. Et donc, malgré les récompenses, les ventes ou les rencontres, j’envoie mon manuscrit comme si je n’avais rien pubié, par la poste, juste accompagné d’un CV littéraire, enfin plutôt une lettre d’accompagnement drôle ou au moins aguichante, qui permettra au manuscrit d’être lu (je vous la proposerai dès que je tiens un contrat d’édition). La plupart des éditeurs ne prennent pas le temps de répondre, j’ai simplement reçu une critique assez positive mais négative (en résumé ça donne : « on aime l’écriture, la sensibilité, les personnages mais on se fait chier » et j’ai donc tenté de corriger le tir en proposant une nouvelle structure au récit et en le réorganisant). Alors je suis là, j’attends. Je note les quelques refus. Et j’attends.
Ce qui me donne le temps de relativiser le pouvoir incroyable que l’on donne aux éditeurs. Et de retrouver les ratés incroyables de l’édition. Il est parfois compliqué de se soumettre entièrement à la subjectivité d’autrui, surtout si cette subjectivité nous est défavorable.
John Kennedy Toole. Le garçon s’est suicidé à 31 ans après avoir écrit deux manuscrits et essuyé les refus inflexibles des éditeurs. Après son décès, sa mère s’est battue pendant des années pour le faire publier. Elle fait lire son roman La conjuration des imbéciles à l’écrivain Walker Percy qui apprécie le texte et intercède en sa faveur. Le roman sera publié en 1980, 11 ans après la mort de son auteur. Le succès sera immédiat et phénoménal, jusqu’à la récompense du Prix Pullitzer. Son premier roman, écrit à 16 ans, la Bible de Néon, sera également publié dans la foulée. Et c’est intéressant de constater que les éditeurs ont refusé des années la publication de ce qui est aujourd’hui considéré comme un des chef d’oeuvres de la littérature américaine humoristique et ont mené au suicide de son auteur (je voudrais pas faire un chantage au suicide mais bon, certains l’ont sur la conscience), mais dans la foulée, pour surfer sur la vague du profit, publient un texte sans doute immature, éditorialement pas prêt, même s’il porte les traces du génie de Toole.
Marcel Proust. Marcel termine du côté de chez Swann en 1912 et décide alors de le faire publier. Il envoie le manuscrit à une dizaine d’éditeurs parisiens et absolument tous le refusent. Fatigué mais décidé, il fait publier son ouvrage à compte d’auteur (il paie pour avoir son roman en main) chez Grasset (oui, ça en jette davantage que Benevent ou Perséé plumes). André Gide, un des membres du comité de lecture de Gallimard fera amende honorable, des années plus tard (trop tard) : « Le refus de ce livre restera l’une des plus graves erreurs de la NRF (Gallimard). Et parce que j’ai cette honte d’en être beaucoup responsable l’un des regrets les plus cuisants de ma vie… »
James Joyce – l’écrivain Valery Larbaud propose la traduction (on imagine l’ampleur du travail) de Ulysse à plusieurs éditeurs parisiens en 1922. On lui répond « vain bavardage » ou « oeuvre immonde ». Mais, comme toujours, devant le succès de la version anglophone originale, 7 ans plus tard, Gaston Gallimard rachète les droits de l’oeuvre et le fait publier en France.
JK Rowling – la romancière a refusé une douzaine de refus avant d’être publiée avec Harry Potter. Son alter-ego, Robert Galbralth (pseudonyme masculin avec lequel elle publie également) a lui été refusé bien plus souvent encore. Il a fallu attendre deux ans avant que la saga du sorcier soit publiée. Et JK Rowling avait l’intention d’essuyer un refus d’absolument chacun des éditeurs ayant pignon sur rue avant d’abandonner complètement l’idée de se faire publier. C’est finalement un petit éditeur londonien qui publiera Harry Potter.
Philippe Delerm. Entre 1974 et 1983, l’auteur de La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules – 1,5 million d’exemplaires vendus depuis 1997 – n’a reçu que des lettres de refus. « Pour publier votre livre, il faudrait utiliser de la dentelle gaufrée », ont répondu les éditions Phébus au sujet de son premier livre, Un été pour mémoire, que le Rocher publiera en 1985. « L’expression m’a ulcéré, se souvient encore l’ancien prof de français. D’autant que les critiques littéraires ont encensé mon roman. Quel contraste frappant ! »
Stephen King. Après plus de trente refus (et il faut les vivre, les voir arriver ces lettres, ces trente lettres, une à une, dans la boite postale, pour savoir comment ça peut saper le moral), Stephen King envisage d’abandonner son projet de publier Carrie. Sa femme n’a pas trop envie de vivre avec un dépressif frustré pendant des années et le pousse à continuer à le proposer à d’autres éditeurs et son premier texte sera publié moins d’un an plus tard.
Il y en a tellement d’autres.
Mais mon plus grand tort, c’est que je ne crois absolument pas à l’auto-édition et donc que je suis condamné à subir les erreurs (ou pas, l’histoire nous le dira, ou pas…) de jugement des éditeurs.
A bientôt cher mon lecteur