Les Romans
Quand les ânes de la
colline sont devenus barbus
« J’avais glissé une photo de Jackie Kennedy dans la poche de mon pantalon et le soir je la posais sous mon oreiller et je dansais, dansais jusqu’à en devenir ivre. Mes sœurs disaient : on est si fières de toi, Jack, tu deviendras le plus fortuné et le plus beau de la colline. (…) Le sol tournait et mes sœurs riaient fiévreusement et soudain il n’y avait plus de problèmes, il n’y avait jamais eu aucun problème et il n’y aurait jamais plus d’obstacle dans nos vies, je voulais que ce moment demeure éternel, dans la jouissance naïve de l’instant, que demain mes sœurs et moi nous sortions acheter de beaux vêtements et que nous vendions ensemble des œufs en étoile, aux carrefours de la ville. (…)
– Un jour vous marcherez dans la rue avec moi, le visage découvert et nous danserons jusqu’à devenir fous.
– Tu sais que ce n’est pas possible…
– Il nous faudrait quitter l’Afghanistan. »
John-Henry, Quand les ânes de la colline sont devenus barbus, éditions diagonale, mars 2015
« Dans une langue tendre et poétique, l’auteur nous livre une aventure hors du commun, inspirée de faits réels, et signe un premier roman vibrant, percutant.
A cause de la folie des hommes, Jack de Kaboul épouse une vie paradoxale, tissée sur le fil. Résister jusqu’à embrasser une double vie, forcer le destin et s’enfuir, tel est le prix de la liberté pour certains enfants d’Afghanistan. »
Voilà. Je ne parle pas (encore) de moi à la troisième personne et je ne parle pas (encore) de mon écriture en des termes si élogieux. Tu l’as compris cher mon lecteur, ceci est le texte de l’éditeur.
Moi, si je devais en parler, je dirais que j’ai écrit ce manuscrit à Rome, en résidence d’auteur, en écoutant CocoRosie, en mangeant des cacio e peppe et en pensant à l’histoire de Jack, un enfant de Kaboul, un personnage fait de chair et d’os. Un personnage réel. Jack de Kaboul existe. Au début d’un film on écrirait : inspiré de faits réels. Ou plutôt : d’un personnage réel. Ce personnage je l’ai rencontré dans un documentaire. On le voyait, dans sa vie de Kaboul, mi Jack mi Shabina. Et puis il a été invité à participer à une rencontre à la suite de ce documentaire, il a été invité à Paris, par la production. Jack s’est envolé de Kaboul avec un visa temporaire, il a atterri à Paris, il s’est rendu à la projection. Et puis il n’est jamais rentré à l’hôtel. Il n’a pas pris son vol retour. Jack a disparu. Il était libre, il s’est volatilisé et personne ne l’a jamais revu. A quoi ressemble-t-il ? A quoi ressemble-t-elle aujourd’hui ? Je ne sais pas. J’espère que ce roman croisera un jour sa route. Et j’espère qu’il/elle est heureux.se.
Ce roman, c’est officiellement mon premier roman même s’il y a eu quelques escarmouches avant. Mais la différence ici, c’est que les ânes barbus est mon premier roman imprimé et distribué par un véritable éditeur. On parle de la grande entrée dans le monde de la littérature. Une grande entrée pour moi. Le monde, je veux dire, le grand monde des livres, de Bruxelles à Paris, s’est vite remis du tremblement de terre sous mes pieds.
Si je devais te présenter mon résumé minimaliste, je te dirais quelque chose comme : « Dans ce roman, il est question d’Afghanistan, de Bruxelles, d’une colline sous l’antenne de télévision, d’identité, de sacrifices et d’ânes. Avec de la barbe. Et des oeufs aussi. Des oeufs en étoile. C’est bon, parait-il. »
Depuis son lancement en 2015, le roman a tracé sa route, suivi son chemin, propre, loin de moi. Et puis on s’est retrouvé, pour le prix de la Roquette à Arles, décerné au meilleur premier roman de l’année, en 2015. On s’est croisé à Chambéry aussi, pour le festival du premier roman 2016 où les ânes barbus ont été primés, trois jours fantastiques et incroyables qui m’ont donné une autre perception de mon travail. Je t’en parle ici, cher mon lecteur, dans comment je suis devenu écrivain. Et puis comme dans un tango, on s’est éloigné, retrouvé, à Mouscron, le frère belge de Chambéry, à Tournai, au détour d’une conversation. Le reste du temps, on s’observe, de loin en loin, on se regarde évoluer, on s’oublie parfois aussi, mais on ne pourra jamais nous séparer.
Trois ombres au soleil
La ville. Ses nuits. Sa solitude.
A peine débarqué, il en ressent une violence agressive. Depuis des années, elle s’y est habituée. Un peu trop. Et Sofia, qui laisse trainer sa blondeur éclatante sous les néons du métro.
Puis un détonateur.
Il va croire à l’amour, avec cette fille qui appartient à la ville. Elle réalise qu’elle est encore affamée de vie. Et des messages anonymes vaguement menaçants vont finir de venir bouleverser les vies.
Tout était à l’indifférence. Pourtant, des bouts de papier, des choix, des hasards m’ont fait comprendre que tout est possible tant que rien n’est fini.
Trois ombres dans la ville. Trois ombres dans la nuit. Trois ombres au soleil.
J’ai commencé à écrire Trois ombres au soleil à l’époque où je venais de terminer des études de journalisme, au moment où je cherchais mon premier boulot. C’était aussi l’époque où j’ai débarqué à Bruxelles. Ca m’a pris trois mois, à écrire, à canaliser, réécrire. Et un an et demi plus tard, un éditeur me donnait rendez-vous dans un petit bureau, au 26 de la rue de Maulde, le soir d’un mercredi sombre. Le 15 octobre 2012, Trois ombres au soleil est officiellement sorti.
Ce sont mes premiers pas littéraires, la découverte de tout un univers, l’édition, la littérature et tous les pièges et toutes les désillusions que cela charrie. C’est un miracle que ce texte soit publié, qu’il reste une trace de cet hiver que j’ai traversé à écrire, sous la neige. C’est le témoin d’une autre vie, d’autres aspirations. C’est le début d’un long parcours littéraire dont on ne sait jamais où il va nous mener. Le roman porte toute l’énergie et tous les défauts d’un premier texte, trop tendre, trop naïf, trop éparpillé. Il porte en lui une certaine fougue et une certaine idée du monde. Et c’est comme ça que je le regarde aujourd’hui, comme un témoin de ce que j’ai été. De ce que nous avons tous, sans doute, été. Jeunes, naïfs et inexpérimentés, mais plein d’envie.