Tombe, souris et relève-toi
Ca s’est passé récemment. A Paris, dans une rue étroite, de 07h07 à 14h14 sur le thème : « Tout commence par un vol. Il est ensuite question de ver[s] et de pêche[s] ». C’était un concours de live-writing, il y avait 4 catégories, strips, poétik, nouvelles et Très Très Court. Vers 19h27, David Foenkinos, le président du jury a commencé à remettre les chèques, les livres et les sabliers (le trophée était un sablier, ne me demande pas pourquoi cher mon lecteur). J’ai senti mon coeur se tourner, se tordre, déchirer ma poitrine pendant les quelques secondes qui séparaient le « Je vais maintenant vous communiquer le palmarès » et le « Gagnant de la catégorie TTC est… » Tout l’après-midi déjà j’avais flâné à Paris, j’avais pris le métro, j’avais visité des boucheries, j’avais parcouru des rues célèbres, j’avais croisé les quasimodos autour de Notre-Dame et je m’étais finalement installé le long de la Seine, à regarder passer les gens, à écouter la radio. En réalité je ne parvenais jamais à détacher mon esprit de ce moment fatidique qui allait forcément arriver, je me projetais sans arrêt vers 19h27, j’anticipais mes réactions, en cas de victoire, mes premiers mots émus au micro, en cas de défaite, à l’amertume qu’il allait falloir digérer. Je ne pouvais me concentrer sur rien d’autre, le stress m’envahissait les neurones, me troublait la vue, remuait mon estomac. Ce concours j’en avais fait un objectif, ce concours j’en avais parlé, ce concours il représentait quelque chose. A 19h27 donc, David Foenkinos s’avance vers le micro, j’ai deux verres vides en main, du champagne et de la bière corse, je regarde autour de moi, je réfléchis à qui je pourrais donner ces verres au cas où dans quelques secondes il cite mon nom. Je suis distrait un moment par la mise en scène de la gloriole. Mais on a déjà prononcé un lauréat. « Marieke dans la catégorie TTC… » Ma respiration ralentit, mon pouls reprend un rythme supportable. Mais j’ai perdu. Disons plutôt que je n’ai pas gagné. « Ce n’est pas grave » va-t-on me répéter, c »‘est une chouette expérience ». Je ne cherche pourtant pas à être réconforté, je ne suis pas déçu. Pas vraiment. Pas encore. Si je regarde les choses objectivement, rien n’aurait fondamentalement changé au cas où j’aurais gagné, pratiquement rien. Mais c’était un objectif. Et tous les objectifs qu’on n’atteint pas, ce sont autant de chutes dans le vide. Ce soir-là, au milieu du vin, de la bière et du fromage, je suis tombé de douze étages. Personne n’a vu la chute, c’est une chute invisible et silencieuse. Maintenant la sensation agréable et grisante de l’événement est passée, ne reste que la déception. Mais légère. L’obectif est raté. Mais je souris encore. Je sourirai encore longtemps. Tant qu’il y aura de l’espoir. L’espoir que ce que j’écris sorte encore un peu plus de l’anonymat. L’espoir d’être récompensé pour son écriture. Pas pour l’argent. Pas seulement pour l’argent. Mais parce qu’écrire, c’est être seul, face à ses défauts, face à ses objectifs, face à ses échéances, face à ses limites, face à son potentiel.
Va, vis et deviens (NB : tu te casseras la gueule peut-être dix fois, peut-être trente-fois mais tu souriras et tu te relèveras)