Tu veux te débarrasser de moi ? J’ai la solution
C’est l’histoire d’une rencontre entre deux mondes, deux univers, qui ont toujours eu du mal à s’apprivoiser, qui préfèrent se renifler, de loin et qui ne font pas grand cas l’un de l’autre : la télévision et la littérature. Il y a bien eu quelques émissions littéraires, en fin fin, fin de soirée, acceptées du bout des lèvres par les directeurs d’antenne. Rien de plus. Et aujourd’hui un concept réunit finalement la belle et la bête, le concept débarque d’Italie et se propose de faire de la télé-réalité littéraire. L’académie Balzac. Le principe : faire débarquer 20 auteurs qui ont au moins déjà publié un ouvrage (à compte d’auteur ou pas, peu importe), les enfermer dans un chateau près de Cognac, filmer le tout 24/24 pendant 20 jours et les torturer en éliminant les écrivains au compte goutte pendant 20 jours jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. A la fin de cette expérience devrait surgir un roman collectif.
Alors pourquoi je me suis inscrit ? Ah, je te l’avais pas dit ? Si ! si… Je me suis inscrit. Ma page est ici, tu peux voter pour moi si le coeur t’en dit et si t’as plutôt envie de me voir à travers un écran au mois d’octobre 2014. Mais alors, pourquoi ? Ben je sais pas. Je te le jure, je sais pas trop. Je suis curieux. Et en attendant d’avoir un avis définitif sur ce projet, je me suis inscrit, histoire de voir. Le temps de la réflexion.
Et il y a plusieurs éléments de réflexion.
Le projet littéraire ? Ca me semble limité, on sera entre auteurs lambdas, à écrire un roman collectif, sans rien savoir du thème imposé, ni de la qualité des autres auteurs. Y a de grandes chances que le roman terminé soit un patchwork improbable de styles et d’écritures complètement incompatibles (si pas illisibles). Sans compter l’image que le projet véhicule dans le milieu littéraire un peu pédant. Pas que j’en fasse partie ou que je préserve mes cartes d’accès, mais c’est peut-être encore un peu jeune, 28 ans, pour se bruler les ailes et se cramer définitivement auprès de certains du milieu. Le milieu, ouais. Quoique si tu nies fiévreusement toute implication, tout devrait rentrer rapidement dans l’ordre; en effet je ne pense pas qu’ils passeront leur temps, ces gros bonnets de la LITttérature (trois lettres majuscules, au moins) autour de 19h, à mater l’académie de Balzac, yo!
Le succès populaire ? Vu la portée de l’Académie Balzac (la diffusion d’une émission quotidienne de 30 minutes, uniquement sur leur site web), je pense que je serais plus vite reconnaissable en me plantant tous les samedis sur le parking du carrefour avec ma pile de bouquins.
Est-ce que je suis à l’aise avec le concept de télé-réalité ? Même si on devrait plutôt parler de web-réalité, le principe reste le même, t’es filmé 24/24. Le principe même de filmer 24/24, c’est de faire naitre du clash et du buzz (copyright improbable et pas assumé), de te mettre dans des situations inconfortables, de te pousser dans tes retranchements, de faire exploser une « personnalité » ou un « profil ». Si ce ne sont pas leurs intentions, ils se contenteraient de filmer les activités, c’est-à-dire 7 ou 8 heures par jour… Et déjà que les émissions « rodées » de téléréalité peuvent te bousiller un profil, alors je n’ose pas penser au résultat que ça peut donner avec deux monteurs qui diffusent sur un site web improbable des images que seuls la famille des internés et les 750 frustrés de la plume regarderont.
L’expérience ? Voilà, c’est ça, l’hameçon qui m’a conduit jusqu’ici, qui m’a inscrit à la très pompeusement nommée, Académie Balzac (rien que dans le nom de l’émission, tu le sens le piège, tu le sens très fort qui te bouscule et te regarde de travers) et qui me pousse à t’en parler. Mais par quoi suis-je attiré au fait ? Par la découverte. Par la curiosité. Parfois je suis très curieux, n’en déplaise à ce vieux tromblon de l’information publique radiophonique qui n’a jamais réussi à l’exciter, ma curiosité.
Finalement ce « projet » ressemble assez fort à la résidence d’auteur que j’ai pu faire en juin 2013 à l’Academia Belgica, à Rome, en compagnie de Luc, un autre auteur et d’une quinzaine de doctorants qui allaient et venaient en fonction de leur thèse. Le concept était exactement le même, sans les caméras. Et c’était extrêmement plaisant, sans doute parce qu’il n’y avait pas d’enjeu, pas de promesse, pas d’élimination et donc pas de concurrence. Le monde ne compte-t-il pas assez de tension pour s’en créer des factices, des éphémères et des artificielles ?
Je ne sais pas. Vote. Ne vote pas. Je ne sais pas. Je regarde. Jusqu’au 1er aout. Et d’ici là, je pense à déposer un nouveau dossier pour une résidence d’auteur.