Allo ? Les éditeurs ne répondent plus (et les RH non plus)

Imagine… Imagine un coiffeur. Je rentre dans le salon, je m’assieds sur le siège rehaussé, le coiffeur range ses ciseaux et ses peignes. Et puis il me dit, juste un instant. Il part pisser à la cave et ne remonte jamais. Ca deviendrait tellement courant que j’engagerais un TYPE (plutôt balaise) pour rappeler au maudit coiffeur qu’il est temps d’arrêter de jouer à Candy Crush sur son satané téléphone, il est temps de sortir des chiottes et ramener sa FRAISE et ses ciseaux pour avoir la sympathie de me faire ma coupe (entretemps 5 semaines se sont écoulées, je me suis encrouté et mes cheveux ont pris 15 cm, la coupe sera donc deux fois plus longue et plus chère).

Imagine. Imagine, un médecin. Un chirurgien. Ca fait 5 mois que tu te trimballes ton appendicite juste pour être opéré par ce chirurgien-là. Lui, précisément. Ton boucher a bien proposé de te la retirer à la hache, quelle différence entre le cochon et l’homme vu de l’intérieur des tripes ? Il a l’habitude de tout tailler à la hache, d’un coup de hache plutôt précis à vrai dire. Mais non, toi t’es un snob du scalpel, tu voulais un as du bistouri. On t’installe sur un brancard, des poches de sang pendent de tous les côtés, t’es vêtu d’une chasuble verte. Tout est propre, rangé, stérilisé. Les infirmières s’asseyent. Et on attend. On attend 2 h, 5h, trois jours, quatre semaines. Ca commence à sentir l’oignon dans le bloc. Le chirurgien n’est pas là. Non. Il joue au Golf. Il fait savoir « qu’il n’a pas le temps pour ça ». Il y a bien des discussions sur le fait que c’est l’hopital qui paie son salaire et qu’il a des obligations. « Il joue au GOLF ». Sur tous les greens du monde ! Galway, Vancouver, Madeira, Floride, Taiwan. Toi, tu vas mourir d’appendicite, à moins que tu te laisses tenter par la proposition du boucher. Installé sur ton brancard, tu t’entraines au golf, tu répètes tes gammes. Au trou 15 du Touquet, tu vas lui taper une balle pile entre les deux yeux à cet enfoiré de chirurgien.

Le MONDE ENTIER est frappé de la même maladie. LA CONTAMINATION est galopante ! C’est une épidémie !

Personne n’est épargné. Pas même les éditeurs. 

J’ai 1000 questions. Dont celle-ci : à quoi les éditeurs passent-ils leur temps ? 

A vrai dire, cette question, je me la suis déjà posée avec les RH, les ressources humaines qui gèrent, entre autres choses, les annonces pour des postes vacants. 

Les RH, c’est un département mystérieux. Elles rédigent une annonce après sept réunions avec le juridique, le marketing, un responsable quelconque et peut-être le druide du village, histoire d’être sûres que l’intitulé du poste soit en phase avec les astres. Ensuite ? Ensuite, c’est un mystère. Elles reçoivent des mails propres et timides, remplis de pièces jointes qui ont mis leur plus beau costard. Un stagiaire va relever cette boite mail poussiéreuse une fois par semaine. Et personne n’y répond jamais. Résultat : ton plus beau CV et ta lettre de motivation clinquante s’égarent dans le métaverse. Et tu n’entends jamais plus parler de ce job auquel tu as postulé.

Le déclin de la civilisation, il se niche là, dans les détails.

Plus personne ne répond aux candidats besogneux. Ca atteint des telles proportions que des boites se sont spécialisées dans l’accompagnement des candidats pour RELANCER les RH. Est-ce que quelqu’un se rend compte ? 

L’édition n’est donc pas épargnée. Mais il arrive quoi aux gens ? Trois trucs à faire sur une journée et ils sont débordés ? Ils sont sous l’eau ? On a atrophié l’humanité d’une partie de son cortex cérébral ? Eclairez ma lanterne, vraiment, je ne comprends pas. Ou alors c’est l’avènement du téléphone, ils écrivent une ligne d’un mail, pop up Whatsapp* 10 minutes passent, une deuxième ligne de mail, pop up Instagram *15 minutes passent. A midi, après 4 lignes, le type ne sait même plus à qui il écrit ce mail, il demande à l’IA de lui pondre rapidement un truc parce que s’il l’envoie pas avant midi, on va encore lui dire qu’il sous performe alors que, Dieu lui en est témoin, il n’a pas dévissé son cul de la chaise, il n’arrête pas !

Et c’est comme ça que je reçois le mail, Salut Brichart, Merci de votre relance… Ah bon, on s’appelle par notre nom de famille, maintenant ? Le déclin de la civilisation, il se niche là, dans les détails.

Sans réponse de notre part d’ici 4 cycles lunaires, considérez votre projet refusé

Et c’est comme ça que je me retrouve comme un enfoiré de première à relancer les éditeurs. Ca ne m’était jamais venu à l’esprit jusqu’à présent. Jusqu’à présent je croyais naïvement que le silence des éditeurs signifiait que j’avais écrit une bouse. L’absence de réponse c’était la preuve cinglante que je n’avais aucun talent et que je ferais mieux de retourner affûter ma médiocrité. J’avais même plutôt intérêt à travailler cinquante fois plus mon texte avant d’avoir l’audace de leur soumettre un nouveau projet.

Grand nigaud que je suis. La vérité, c’est que les RH ou les éditeurs, c’est KIF KIF. L’absence de retour, ça ne signifie rien d’autre que « ils n’ont rien à me dire, parce qu’ils ne l’ont pas lu ». Et je ne parle pas des éditeurs qui ne répondent pas à mon premier envoi, ceux-là sont prévoyants, ils justifient déjà leur futur silence en arguant « sans réponse de notre part d’ici 2/3/4/5 cycles lunaires, considérez votre projet refusé ». Non, je parle d’éditeurs avec qui je suis en CONTACT, qui me disent qu’ils reviendront vers moi bientôt, que le manuscrit les intéresse et qu’il est en fin de processus auprès du SECOND comité de lecture. Et je me retrouve donc HUIT semaines plus tard à écrire un mail plein de ouate, de précaution, par peur de froisser une susceptibilité, parce que je suis complètement dépendant d’eux, autant qu’on est tous dépendants des RH quand on postule dans une boite où on ne connait personne.

« Pardon de vous déranger Mademoiselle, je sais que vous avez probablement des sujets brulants qui sont prioritaires mais avez-vous eu l’opportunité de jeter un oeil à mon projet ? Je continue de croire qu’il correspond à votre ligne éditoriale et qu’il possède un véritable potentiel de publication… bla bla bla. »

Alors qu’il serait tellement plus sain de se dire la vérité : et bien donc, à quoi passez-vous votre temps ? ONZE mois il faut pour lire un manuscrit ? Six mois pour me dire que plait au premier comité de lecture ? Et puis quoi, plus de CINQ mois, trois relances, pour statuer sur le sort d’un manuscrit que vous AVEAZ DEJA LU ? Vous êtes éditeur professionnel, n’est-ce pas ? C’est votre métier, je veux dire, vous êtes rétribué pour lire ces pages.

J’ai longtemps considéré les éditeurs comme une espèce de profession sacralisée, exercée par une race supérieure. Je leur étais déférent, tout ce qu’ils pouvaient dire, ces mots laconiques, je les buvais comme d’autres vénèrent la Bible.

Mais ça, c’était avant.  Avant que je ne comprenne que derrière les façades clinquantes du 8ème arrondissement (et les autres), il y a surtout des gens qui ne savent plus où ils habitent, noyés dans leur to-do list, harcelés par leur téléphone et toutes les tentations de divertissement possibles. Le silence n’est pas un verdict, c’est juste un symptôme : celui d’un monde qui a oublié comment faire son boulot. Alors je relance. Et je relancerai encore, avec des mails tout mielleux.

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