Candidature à mon cher éditeur

Si tu es ici cher mon éditeur, c’est parce que tu as reçu ce message dont j’inonde le 6ème arrondissement parisien (principalement, mais pas seulement, mon terrain de jeu est illimité) et qu’après avoir feuilleté les 10 premières pages du manuscrit, ta concentration s’est effilochée (c’est le 15ème manuscrit de la matinée et il n’est que 10h52) et donc tu t’es dit : « Tiens, je vais voir sur internet qui est ce clown. »

Alors voilà : Vivre parmi ceux qui restent, c’est pas Le Seigneur des Anneaux ni le prochain thriller vendu avec une citation de Stephen King. C’est l’histoire de gens normaux qui essayent de s’en sortir après avoir pris la vie en pleine tronche. Des personnages qui galèrent, comme toi après ton quinzième manuscrit sans café. Mais tu sais quoi ? C’est probablement ce qui te manquait dans ta collection : un peu de réalité sauvage.

Enfin, le manuscrit, tu l’as sous les yeux. Si tu es ici, c’est donc pour savoir qui est ce clown. Le clown, c’est moi. John-Henry. Enchanté (ou pas, à ce stade, ça dépend de ton humeur). Vingt-cinq ans à rêver d’être journaliste avant de comprendre que ce qui me fait vraiment vibrer, c’est… les assurances. Ouais, j’ai choisi la voie la plus palpitante, je sais. Mais entre deux primes et des clauses en tout petit, j’écris des trucs. Pourquoi ? Parce que je m’emmerde, comme toi quand tu dois lire le quinzième manuscrit de la journée.

Je viens de Bruxelles, ville de la pluie et de l’absurde. J’ai fait un détour par Berlin, où j’ai appris que même en étant bordélique, on peut être efficace. Maintenant je suis à Lisbonne, parce que faut bien que quelqu’un profite du soleil dans cette histoire. Ah, et au passage, je suis phénylcétonurique. Oui, c’est chiant, et non, je ne peux pas manger de trucs bizarres comme le tofu. Bref, un autre détail inutile mais qui, j’en suis sûr, va fasciner les foules.

Ah, et j’ai aussi une gamine. Elle est géniale. Enfin, quand elle décide que je peux dormir plus de deux heures d’affilée. Donc si tu sens que je suis sur le fil niveau stabilité mentale, c’est parce que je fonctionne à la caféine et à la volonté de fer depuis des mois.

Tu continues de lire ? Tu commences à être intrigué ? Quelque chose se tisse déjà entre nous ? Toi et moi, cher mon éditeur, on sait tous les deux que cette relation n’est pas partie pour être simple. Toi, t’es là, à jongler avec des manuscrits, des auteurs désespérés et ton agenda serré. Et moi je suis là, à tenter de contenir des mois de frustration littéraire.

Mais imagine : dans six mois, tu pourras fièrement annoncer que tu as découvert « l’auteur qui pensait être journaliste et qui a fini dans les assurances ». Tu deviendras une légende dans ton propre cercle. Ou au moins, t’auras une anecdote à raconter au prochain salon du livre, ce qui est déjà pas mal.

A côté de toi, il y a une biographie de gourou du développement personnel et le 18e roman dystopique de la semaine. Soyons honnêtes, ta pile de manuscrits doit ressembler à une montagne infranchissable, et pourtant… tu es ici. Tu es venu jusqu’à cette page, et c’est là que ça devient intéressant.

Car, malgré tout ce que tu as à lire, quelque chose t’a poussé à creuser un peu plus loin. Peut-être une phrase, un personnage, un soupçon de curiosité, ou juste un élan d’auto-sabotage (on ne jugera pas). Mais une chose est certaine : ce n’est pas par hasard que tu es encore là. Peut-être que Razane, l’héroïne de ce roman, commence déjà à t’obséder. Peut-être qu’elle t’attire, sans que tu saches trop pourquoi, et que tu ne pourras plus t’en détacher avant d’avoir découvert ce qu’elle a de si magnétique.

Tu aurais pu refermer ce mail avec un soupir résigné, mais non, tu as décidé de lui donner une chance. Comme quoi, tout n’est pas perdu. Tu veux savoir ce qu’il y a derrière ces premières pages, et franchement, je te comprends. Parce qu’à ce stade, tu as bien compris que Vivre parmi ceux qui restent n’est pas juste une histoire parmi d’autres. Ce n’est pas le manuscrit qu’on lit en diagonale avant de le classer dans la pile des « peut-être » (on sait tous ce que ça veut dire). Non, là, tu es déjà embarqué, même si tu ne veux pas encore te l’avouer.

Tu pourrais bien sûr tout lâcher maintenant, retourner à tes habitudes et laisser Razane s’évanouir dans le flot des projets non lus. Mais on sait tous les deux que ça ne va pas se passer comme ça. Parce qu’elle va continuer à t’obséder, à te hanter, jusqu’à ce que tu décides d’aller au bout de l’histoire.

Et quand tu le feras, tu te rendras compte qu’il y a quelque chose de plus fort ici. Quelque chose qui fait qu’un éditeur surchargé comme toi, avec des dizaines de manuscrits criant « lis-moi » chaque jour, prend quand même le temps de creuser un peu plus. Cette intrigue, cette héroïne, ce petit grain de sable qui vient de se loger dans ton esprit… c’est le début d’une relation que tu ne pourras plus ignorer.

Alors, cher éditeur, autant ne pas lutter. Fais-toi un dernier café, installe-toi confortablement, et laisse Razane te mener là où tu ne pensais peut-être pas aller ce matin.

Ensuite, tu sais où me trouver.

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