L’art délicat d’apprivoiser les susceptibilités des éditeurs
Le parcours d’un écrivain est souvent parsemé de moments de grâce (un peu), mais aussi d’une bonne dose de frustration (énormément), d’absurdité (beaucoup) et, soyons francs, de rendez-vous manqués. Avec la sortie de mon premier roman en 2015, deux prix littéraires, je pensais avoir trouvé ma voie dans le labyrinthe du milieu éditorial. J’avais un éditeur, Diagonale, une certaine reconnaissance, et un avenir qui s’annonçait sous de bons auspices. J’étais lancé sur les rails de la littérature.
Tu vois comme je suis ingénu et naïf, cher mon lecteur ?
Puis, comme d’autres maisons indépendantes, Diagonale a cessé d’exister, et avec elle, mes illusions d’une collaboration fructueuse (hummm…) et durable.
Me voilà donc, quelques années plus tard, à errer de nouveau dans cette immense bicoque mansardée, avec du parquet grinçant au sol, qui craque dans tous les coins, cette vieille masure où vivent tous les éditeurs. J’erre dans les couloirs de ce dédale gigantesque, frappant à toutes les portes avec l’espoir que quelqu’un, quelque part, ait envie de dénicher quelque chose qui ressemble à mes textes. C’est un drôle de cirque, ce milieu. Chaque éditeur a ses petites manies, ses marottes, ses coups de cœur incompréhensibles et ses haines irrationnelles. Les éditeurs sont des êtres complexes, peut-être plus que les écrivains eux-mêmes. On pourrait presque écrire un roman sur eux, mais est-ce que quelqu’un voudrait bien le publier ?
L’éditeur salvateur… ou presque
Fin aout, je pensais être tombé sur une perle rare. Un éditeur parisien bien installé, qui répondait à mes mails. Déjà. Et puis après quelques semaines, le type avait lu mon manuscrit. Oui, lu. Ce n’était pas un coup de foudre littéraire, certes, mais il avait aimé ce qu’il avait lu. À défaut de vouloir publier mon texte lui-même, il envisageait de le recommander à une éditrice d’Actes Sud. Une bonne nouvelle, n’est-ce pas ? Dans ce parcours semé d’embûches, c’était presque trop beau pour être vrai. C’est là que ça dérape. Bardaf, c’est l’embardée.
Dans un moment de sincérité naïve (je le suis, qu’est ce que je peux y faire ?), j’ai évoqué avoir recouru à un outil pour résumer mon manuscrit. Pas un assistant personnel, ni un agent littéraire, non. Une assistance technologique, vous voyez ? ChatGPT, ce petit bougre qui fait couler autant d’encre que de bile ces derniers temps. Juste un résumé de trois lignes. Un gain de temps, un outil pratique. Rien de plus. Mais il n’en fallait pas plus pour rompre la fragile entente entre nous.
Sa réponse fut cinglante. Il préférait « en rester là », me souhaitait « bonne chance avec mon ami ChatGPT » et dans la même foulée, me proposait une carrière dans « l’édition artificielle ». Un peu comme si j’avais trahi une espèce de pacte tacite entre l’écrivain et l’éditeur, une sorte de sacralité qu’il convenait de préserver à tout prix.
J’ai pleuré, un peu, très vite, très fort, pas longtemps (c’est faux). J’ai transpiré pendant quinze longues minutes, je lui ai écrit un mail, pour lui dire que c’était un malentendu. Un second, une semaine plus tard, pour lui dire qu’on n’allait quand même pas rester fâché pour une broutille sur 3 lignes de résumé et un outil que le monde entier utilise (mail généré par IA et chatGPT, ma vengeance personnelle). Et que ça serait quand même dommage (enfin surtout pour moi).
La réaction de cet éditeur illustre bien l’une des grandes marottes du milieu : l’obsession de la pureté. Si un écrivain ose sortir des sentiers battus, même si c’est juste pour se faciliter la vie avec un outil moderne, il est jugé avec la même sévérité qu’un hérétique au Moyen Âge. ChatGPT, apparemment, est l’équivalent littéraire du diable.
J’ai commis un sacrilège, utilisé une forme de magie noire que tout le monde connait mais dont on ne peut pas dire le nom, par crainte de La Malédiction. Je voulais lui faire un résumé mieux tourné (je suis très mauvais pour résumer mes propres textes) : est-ce si terrible d’utiliser un outil pour synthétiser, résumer, faciliter ? Après tout, quand les éditeurs ont-ils accepté les tapuscrits plutôt que les manuscrits écrits à la plume d’oie bernache ? Est-ce que je devrais aussi éviter de mentionner que je me sers d’un traitement de texte pour rédiger ? Que je ne compte plus les mots manuellement à la fin de chaque chapitre ? Que je n’imprime pas tout à la main pour le relire à la lueur d’une chandelle ?
Mais ferme ta bouche
Tu vas me dire, cher mon lecteur, et tu auras raison : mais ferme-la. Pourquoi diable partager ce genre de choses ? A vrai dire, je ne sais pas. Un élan d’honnêteté, quelque chose dans nos échanges qui me laissait penser que je pouvais être tout à fait transparent. Eh ben, en plus d’être un gros naïf, je suis hyper doué pour lire les gens. Peut-être que si je n’avais rien dit, je serais aujourd’hui en train de finaliser des discussions avec cette fameuse éditrice d’Actes Sud. Mais à quoi bon regretter ? Les éditeurs, avec leurs marottes et leur vision romantique du métier, sont des créatures difficiles à comprendre, et encore plus difficiles à apprivoiser. Je n’ai pas de regret. It was not meant to be, comme on dit. (Je me persuade de ça, le soir, entre mes 14 Ave Maria pour me repentir).
Et donc il faut continuer. Continuer à écrire et à errer dans cette immense maisonnée pleine d’éditeurs, à être poli, bien habillé, avec le teint frais, la voix claire, quand on finit par m’ouvrir une porte, et ignorer l’odeur de renfermé, les égocentrismes et les contradictions de ce milieu aussi fascinant qu’exaspérant. L’auteur, il va allumer des cierges à Sainte Rita, il attend, il frappe aux portes, il a mal aux doigts tellement il frappe aux portes, et il espère. Il espère à nouveau trouver un éditeur qui saura reconnaître son travail, malgré les outils qu’il utilise, malgré les modes, et malgré les petites querelles idéologiques qui, parfois, n’ont pas grand-chose à voir avec la qualité réelle d’un texte.
D’ici là, bonne chance à moi. Et bonne chance à nous tous, cher mon lecteur. Et surtout, un conseil : partage le moins possible, dis juste le strict nécessaire.
Pas étonnant que les taiseux fassent de belles carrières.